(merci, merci, je suis touché, je pense que si ce foutu roman trouve un éditeur dans pas trop longtemps, je le dédierai aux canniches cannibales - au moins ça fera rire les cent vingt malheureux qui l'achèteront)
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(gravure : jean-marc renault - jmr02.blogspot.com)
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43 : 24
Tout le long du lycée, ma vie, c’était ça. Entre quatorze et dix-sept ans. Je n’ai aucun souvenir. Aucun détail à part ça. Comme une longue journée, qui les aurait toutes absorbées, une journée sans début réel ni fin véritable, un lent dégradé, une boucle imperceptible avec d’infimes variations. Quelques éclats au cours de la nuit, des images incroyables, plus besoin des démons, ils m’avaient donné leur fluide et leurs pouvoirs. Je n’avais plus besoin d’eux puisque j’étais un des leurs.
Le ménage, l’école, ma grand-mère, cette salope insupportable, geignarde, cette pute infecte, la vie réelle, ce cauchemar gris, ça ne comptait pas. J’avais ma tête, mon sanctuaire béni, mon église, ma cathédrale, je m’y réfugiais tout le temps.
Et les livres. Les loups et les ours m’apprenaient tout ce que je devais être. Je me suis mis aussi au sport. J’avais des livres d’arts martiaux. Je faisais des katas, des pompes. Seul. Je devenais fort, tonique. Vif. Je devenais rusé, silencieux et dangereux. Je devenais un assassin, un ninja. Personne ne savait. Trois ans. D’entraînement. De simulations. De pensées, de fantasmes, de répétition. Et c’était merdique, ces trois ans. Lamentable. Je pleurais beaucoup. Je savais que c’était nécessaire. Cinq ans pour ne plus être humain et je n’étais plus rien. Il fallait du temps pour devenir ce que je voulais être. Un robot-tueur. Un loup-garou. Un vampire. Un monstre. Une chose unique et terrible.
Le jour de mes dix-sept ans. C’était le moment important, la dernière étape. La naissance, ou la renaissance. J’étais prêt, j’étais devenu un prédateur. J’étais né, une deuxième fois.
Je regardais mon corps. Il était magnifiquement dessiné. Mes muscles étaient parfaits. Les gestes souples, la vitesse, l’élégance. J’étais devenu une machine à tuer. J’étais devenu ce que j’étais destiné à être. Un fauve. J’étais devenu un prédateur. Je me trouvais beau. Pas les autres. Je me trouvais très beau et je m’aimais. Je n’aimais que moi. J’avais trouvé l’amour, et pour mes dix-sept ans, j’allais tuer. N’importe qui.
44 : 23
Le matin de mon anniversaire je n’ai pas été à l’école. J’ai pris le bus jusqu’à la gare. J’ai embarqué dans un TER, en utilisant l’argent des courses pour payer mon billet. Je suis descendu dans une ville pas loin d’ici. J’ai compté sur la chance. J’ai traîné à la poste. J’ai suivi un petit vieux jusque devant chez lui. Je l’ai suivi dans son immeuble. Il n’y avait que nous deux. Je l’ai dépassé et j’ai pris un étage d’avance sur lui. Il montait et je montais aussi. Silencieusement. Son sac de courses bruissait. Ses pieds glissaient sur les marches. Il a ouvert sa porte à clé. Je suis revenu vers lui, je l’ai poussé à l’intérieur de son domicile, il est tombé. J’ai refermé la porte à clé le temps qu’il se relève, choqué. Il saignait de la bouche. J’ai l’ai tué rapidement, en heurtant son crâne contre le sol. Mes mains étaient poisseuses de sang. J’ai cherché la salle de bain, et je me les suis lavé. Ensuite j’ai nettoyé le lavabo de toute trace de sang.
Je suis revenu auprès du corps et je me suis déshabillé. J’ai choisi un couteau à viande, dans la cuisine. Dans la chambre, j’ai cherché une couverture épaisse et j’ai installé le corps dessus. J’ai découpé la tête. J’ai découpé les bras au niveau des épaules et puis les jambes au niveau des hanches. J’ai tranché chaque membre en deux et j’ai détaché les mains et les pieds. Le sang me recouvrait. J’ai détaillé les couilles. Je les ai fait frire à la poêle et je les ai mangées. J’ai écrit des insanités sur la poitrine avec le couteau.
J’ai rempli une première valise avec la majeure partie du corps et une deuxième avec ce qui restait plus la couverture et les vêtements. J’ai tout nettoyé, je me suis douché et je me suis rhabillé.
Il était midi. J’ai repris le bus. Je me suis débarrassé des valises. Je suis retourné à l’école.
45 : 22
J’aimais bien les supermarchés, à cette époque. C’était mon unique lien avec le monde. Les gens m’écœuraient et me faisaient peur.
Tout au long de ma dix-septième année, en allant faire les courses, je suivais des femmes. Mes futures proies. Je les suivais et je les observais. Je les écoutais. Le soir, ensuite, je pensais à elles. Je les choisissais en fonction de leur ressemblance physique avec ma mère mais je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. La voix était importante. Des femmes de quarante ans environ qui portaient des jeans serrés, des baskets de toile claire, des pulls colorés laissant voir les épaules et l’absence de soutien-gorge. Des femmes minces, blondes, avec des petits seins et des fesses inexistantes, qui se maquillaient beaucoup et avaient des cernes. Je les suivais pour voir ce qu’elles achetaient. Elles ne devaient pas avoir d’enfant ni de mec. Je les voulais seules. Il fallait qu’elles achètent peu de légumes, des conserves, des plats surgelés, des soupes en brique et en sachet, des paquets de céréale, des gâteaux, de l’alcool mais ni bière ni vin, uniquement des alcools forts, du maquillage, des produits pour le bain, du parfum.
Je m’approchais près d’elles, je sentais leur odeur. Le parfum devait être fruité et assez léger pour ne pas masquer complètement l’odeur de tabac. Il fallait qu’elles me fassent bander, qu’elles me donnent envie de leur lécher la chatte et de leur fourrer ma bite dans le cul.
Je marchais dans le supermarché jusqu’à en trouver une. Il y en avait toujours une. Et puis je la suivais jusqu’aux caisses. J’enregistrais tous les détails, sa manière de respirer, son odeur. Je me tenais assez proche pour pouvoir faire ça. Mais je ne leur parlais pas et ne les touchais pas. J’accumulais des informations que je gardais en mémoire jusqu’au soir. Je me formais d’elle l’image la plus complète possible.
Avant de retourner à la maison, quelquefois, je regardais leurs voitures et je recopiais leurs plaques minéralogiques.