(gravure : jean-marc renault - jmr02.blogspot.com)
***
19 : 15
Sur le plan scolaire, j’étais de plus en plus largué. Au collège, j’ai compris que c’était encore plus facile d’être transparent qu’en primaire. Je ne faisais rien en classe, rien en sport, je ne disais rien à personne, j’étais l’homme invisible. De temps en temps, je me faisais emmerder. Les filles se foutaient de moi. Les mecs voulaient se battre avec moi, des fois. C’est arrivé à deux ou trois reprises que j’en corrige certains. Mais je m’en foutais, j’avais mon sanctuaire. Ma mère, elle, ne s’arrangeait pas. Nos seuls contacts étaient désormais sexuels. Je n’avais plus de mère. On faisait l’amour, et elle partait dans ses médicaments. Je m’occupais seul du reste. Le soir elle ne mangeait pas. Elle parlait toute seule, et puis elle s’endormait devant la télé. Moi, je dormais très peu. J’avais toute la nuit pour moi. Je ne pouvais pas aller à mon sanctuaire, mais j’avais de quoi faire dans la maison.
Je m’amusais avec les Big Jims. J’ai commencé à y jouer vers six ou sept ans, et j’ai continué à y jouer jusqu’à la fin. J’en avais cinq. Un esclave, un maître et trois invités. L’esclave était nu. Il obéissait. Il lavait le sol, il faisait à manger, il nettoyait le maître, il le suçait, il s’introduisait des objets dans l’anus pour l’amuser. Il était tout le temps nu. De temps à autre, le maître prêtait l’esclave à ses invités. Les invités se faisaient servir, utilisait l’esclave comme table ou comme chaise, ou bien comme chiotte. Ils chiaient dans sa bouche ouverte. Ils le violaient, et l’esclave remerciait. Ils le fouettaient et le battaient, à tour de rôle. J’avais toutes sortes d’accessoires, des vêtements, des ustensiles de cuisine, une télé, un canapé, etc. Tout était utile. Ils vivaient dans une grande maison. Le maître était policier. L’esclave ne sortait jamais. Il n’avait pas le droit de parler, sauf pour répondre oui ou merci. J’ai appris le mot viol à onze ans. Avant, je disais faire l’amour.
20 : 14
A onze ans, j’ai testé ses médicaments. J’attendais qu’elle dorme sur le canapé. La première fois, j’ai mangé ses somnifères. La sensation était bizarre et agréable. J’avais les jambes molles, je perdais l’équilibre, et je n’arrivais pas à situer l’origine des sons. Ca a duré deux heures. Je ne me suis pas endormi.
J’ai goûté les antidépresseurs et les anxiolytiques. J’ai augmenté les doses et j’ai essayé divers mélanges. J’ai rajouté du cannabis, en ingestion. Un gramme à la fois. Les résultats étaient variables. Je vomissais souvent. Je perdais également souvent conscience. A d’autres reprises, j’ai eu des hallucinations, des transes, et des montées très puissantes.
J’ai pris l’habitude de prendre des médicaments pour jouer aux Big Jims. A un Noël, j’ai eu une maison Barbie. Une maison complète. Big Jim esclave était ligoté, dans la salle de bain, à quatre pattes. Son visage était enfoncé dans la cuvette des toilettes. Les invités se succédaient et le sodomisaient. Big Jim devait remercier, à chaque fois. Quelquefois, il vomissait. D’autres fois, les invités pissaient ou chiaient. Il avait interdiction de bouger la tête, ou de tirer la chasse. Quand il avait faim, il mangeait la merde ou le vomi.
A la fin, je consommais énormément de cachets. Dès que ma mère s’endormait je prenais de tout et j’allais au lit. Je faisais des rêves éveillés d’une grande précision. Tous ceux de mon école mourraient, l’école devenait un charnier. Je violais leurs cadavres. J’arrivais à sentir leurs odeurs. Je dormais et le matin, dès quatre heures, quand je me levais, j’en prenais encore et parfois un peu d’alcool pour faire glisser, et j’allais jouer aux Big Jims, ou avec mes couteaux. C’était bien.
Ma mère ne se rendait compte de rien. Elle en prenait tellement, elle aussi, qu’elle ne remarquait pas qu’il en manquait. Elle en rachetait, simplement. Constamment. Je crois que je serai devenu accroc, si je n’avais pas mis un terme à tout ça, le jour de ma renaissance. Une envie de pureté.
21 : 13
La nuit, il n’y avait pas que les Big Jims. Je ne jouais pas toutes les nuits. Parfois, je me promenais juste dans la maison. Je me postais à la fenêtre, je regardais dehors. Le noir, à la campagne. C’est quelque chose. Les étoiles. Ou bien j’allais voir ma mère dormir. Je la regardais. Je sentais son haleine lourde. Je flairais ses pieds, et son sexe, enveloppés des collants qu’elle ne pensait pas toujours à quitter. Quelquefois, j’avais un couteau à la main. Je restais longtemps comme ça, avec à la main le couteau pris à la cuisine, à méditer sur sa vulnérabilité. Sur le fait que, si je le voulais, en cinq secondes tout serait terminé. Elle se viderait de tout son sang, par sa gorge ouverte, en quelques instants. Elle aurait tout juste assez de temps de comprendre ce qui lui arrive, mais pas assez pour se demander pourquoi je fais une chose pareille. Et elle serait morte. Mais je ne le faisais pas. Je ne voulais pas qu’elle meure. A chaque fois qu’elle se suicidait, ça me rendait fou de chagrin. Je baisais avec elle presque tous les soirs, pour qu’elle ne meure pas. Je ne voulais pas la tuer. Je ne voulais pas qu’elle meure. Pourtant il aurait suffit d’un seul geste. C’était facile. Elle aurait ouvert les yeux. Ils seraient devenus vitreux.
Je marchais dans la maison, dans toutes les pièces, mon couteau à la main. Je me sentais bien, puissant, maître de la situation. Personne ne me voyait, personne n’était conscient de ce que je faisais. Je tournais dans le séjour. Je marchais à pas lents, dans le noir, le couteau pointé devant moi. Je fixais chaque meuble, chaque ombre. J’allais sur le pas de la porte. Parfois, je l’ouvrais pour flairer la nuit. J’imaginais un rôdeur. Je me masturbais à la salle de bain, dans le noir, devant le miroir, le couteau dans mon autre main. Mais ce que je préférais, c’était regarder ma mère dormir.