Nue. Les muscles de ses doigts crispés sur la lame noire du sang de son amant, elle expire dans un râle rauque.
Sa poitrine tressaille, soubressaute au rythme de l'oxygène que sa hargne laisse difficilement passer : ses machoires refusent de s'ouvrir et un mince filet d'air se fraye un difficile chemin entre ses dents grinçantes.
Des mois qu'elle subit. Des années qu'elle se tait...
Alors que ce dernier ébat lui avait révélé son seul futur possible : la fin par le sang puisque les mots refusaient de la libérer, elle avait agi sans contrôle. Comme si cette vie de retenue, d'introvertion lui avait hurlé "plus jamais ça !".
Alors qu'elle avait étouffé ses cris de douleur tandis que son amant la pénétrait sans complexe là où il était sûr qu'il ne risquait pas de complications, ses pensées tout entières s'étaient tournées vers cette superbe dague brillante qui reposait dans le tiroir de sa commode. L'abnégation allait la tuer. Tout devenait clair, ce serait son acte de résistance à elle, le seul de son existence. Elle prendrait possession de sa vie en se donnant la mort, en ne servant plus les autres... La douleur s'effaça enfin. Elle esquisça même un sourire en vue de sa proche renaissance, ce que son partenaire prit pour lui. Il besogna de plus belle... jusqu'à lui gémir dans le creux de l'oreille, jouir dans le creux de ses reins, et retomber lourdement sur le dos, suant, haletant ; somnolent.
Elle resta immobile, ses tempes résonnant lourdement, guettant le sommeil de son invité. Le liquide chaud coulait lentement de ses fesses à ses cuisses pour se répandre sur les draps. Elle avait toujours détesté ça. Aujourd'hui elle savourait cette sensation : "coule donc, souille moi encore, profites-en bien car je m'en vais...".
Le sommeil ayant enfin alourdi la respiration de son maître, elle se leva, livide, les mouvements fluides et aériens de son corps lui donnaient une allure spectrale tandis qu'elle se dirigeaient vers la commode.
Jamais elle ne s'était sentie aussi libre. Les mille et une barrières qui la cloisonnaient perpétuellement venaient de s'envoler pour laisser place à une légère brise délicate sur sa peau blanche.
La lame dans sa main lui donnait une impression de puissance rassurante. Elle resta ainsi plusieurs minutes, à gouter ce nouveau monde qui s'offrait enfin à elle.
Puis lentement, elle approcha l'acier acéré de sa propre gorge. Plus elle s'approchait, plus elle sentait l'étau dans sa poitrine se resserrer. Lorsqu'elle sentit le froid entrer en contact avec sa peau, ce fut un cauchemar. Le bonheur s'était évanoui et toute la misère, toutes les barrières revinrent en elle avec une violence inouïe. Elle eut un haut le coeur et se retint de vomir. Les larmes montèrent au fur et à mesure que l'évidence s'installait : l'espoir et le courage d'en finir venaient de la quitter.
Elle sentit alors quelque chose de nouveau monter en elle, quelque chose qui l'avait pourtant toujours habitée, quelque chose qu'elle avait toujours gardé enfouie dans son ventre. C'était comme si les herses de ses prisons mentales se rassemblaient, fusionnaient en un immense trident de colère. Elle sentit son corps se convulser et n'essaya pas, cette fois, de l'arrêter.