Des semaines qu'il supporte ces crissements aigus rythmés. Des semaines qu'il bouillonne et se retient d'informer les pollueurs que leur casque blanc est merdique, que tout le monde dans ce putain de wagon entend leur musique de chiotte, sans basses. Aussi énervant qu'un moustique qui vous tourne autour. Chaque matin, chaque soir, debout, fatigué, compressé, entouré d'un ballet de fragments rythmiques des autres. La plupart ne doit même pas être conscient que leur bulle musicale fait chier tous les esprits dans un rayon de 10 mètres autour d'eux. Bon il y en a qui le savent et le revendiquent, tellement fiers de nous faire partager leur culture Skyrock, parfois même avec leur fantastique téléphone portable qui crachote. Le respect des autres et tout ça... Le chacun pour sa gueule et j't'écrase et j'te pousse, et j'te regarde en biais. Y en a partout ! A n'importe quelle heure de la journée on trouve un satané trou du cul qui jouit en éclaboussant les autres.
Alors il respire, ferme les yeux, pense à autre chose. Mais quelque soit la pensée de départ, il finit toujours par fantasmer se ruer sur les Moi Je, les faire tomber, leur hurler dans le nez qu'il en a marre de les supporter, de devoir rester impassible sous peine d'en plus se faire engueuler pour avoir osé vouloir préserver le minimum de confort possible (déja quasi inexistant aux heures de pointes sans ces tss tss tss tss). Il se voit armer ses poings, les lever haut au dessus de lui et frapper, encore, encore, encore, encore, ... encore, jusqu'à ce que la chair ne ressemble plus à un visage, jusqu'à ce qu'il ait des bouts de trou du cul sur ses phallanges qui continuent d'enfoncer ce qui était un crâne. Les yeux ronds et prêts à sortir de leur orbite, la grimace de haine qui l'agite se transforme en rictus de plaisir tandis qu'il arrache le casque de la masse sanguinolente que les autres voyageurs regardent avec horreur. Il tend à bout de bras la technologie nihiliste qu'il a supporté si souvent, et hurle à la foule médusée tous les mots qu'il étouffe en lui quotidiennement, qui le bouffent, le chatouillent, le démangent, le brûlent.
Personne n'a osé tirer le signal d'alarme.
-"Châtelet Les Halles.... Châtelet les Halles"
Il ramasse son sac, essuie le hachis de ses mains sur la veste de celui qui n'emmerdera plus le monde, et sort, souriant, apaisé, chercher sa correspondance.