http://www.liberation.fr/politiques/0101319413-le-talleyrand-de-petit lapin qui pisse derrière la tente-c-est-bollore-et-son-yacht
«Le Talleyrand de petit lapin qui pisse derrière la tente, c’est Bolloré et son yacht !»
Interview
Elysée. L’historien Emmanuel de Waresquiel compare le Président à Napoléon Bonaparte :
94 réactions
Recueilli par JEAN-DOMINIQUE MERCHET
* Agrandir la taille de police
* Réduire la taille de police
* Imprimer l'article
* Envoyer l'article à un ami
* Réagir
Emmanuel de Waresquiel, 51 ans, est historien et enseigne à l’Ecole pratique des hautes études. Spécialiste du XIXe siècle, il a publié une biographie de Talleyrand : le prince immobile (Fayard, 2003) et travaille aujourd’hui sur un autre grand personnage de l’époque napoléonienne, Joseph Fouché. Il vient de publier Cent Jours : la tentation de l’impossible (Fayard, 2008).
Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente est-il un nouveau Bonaparte, comme l’avance Alain Duhamel dans son dernier livre (1) ?
Je ne le crois pas. Il n’est ni un nouveau Bonaparte ni un nouveau Napoléon. C’est un énorme anachronisme, ne serait-ce que parce qu’il n’est heureusement pas arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat. Il n’est pas non plus un fondateur comme a pu l’être le Premier consul. Lorsqu’on regarde l’œuvre de Bonaparte au lendemain de Brumaire, on est impressionné : il signe vingt traités de paix avec l’Europe, conclut un concordat avec l’Eglise, met en chantier le code civil, etc. Il s’agissait alors de terminer la Révolution. Si Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente était l’homme d’une telle œuvre, cela se saurait. Il n’est pas non plus Napoléon. L’empereur s’inscrivait dans la lignée d’Alexandre le Grand ou de Charlemagne. Or, Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente est profondément l’homme du présent, d’un présent immédiat aussi fin qu’une feuille de papier à cigarette. Il ne semble avoir, sur le plan symbolique, ni passé ni avenir, et ne se réclame pas d’une continuité historique. Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente est un président amnésique, y compris de son propre passé. Lorsqu’il va en Hongrie, il refuse de visiter les lieux de sa mémoire familiale. Là est sans doute la vraie rupture, du point de vue des représentations, si on le compare à ses prédécesseurs. Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente ne se projette pas non plus dans l’avenir : il n’est pas, semble-t-il, un président bâtisseur qui souhaiterait laisser sa marque, pour la postérité, dans l’espace parisien ou français. Son encéphalogramme historique est plat. Ses références historiques, leur instrumentalisation politique - le «sombre Moyen Age», le «peuple» régicide, la «lettre de Guy Môquet» - me font penser au lapin qui sort du chapeau. C’est de la prestidigitation, pas de l’histoire. Ses teinturiers, comme on disait au XIXe siècle de ceux qui étaient derrière les écrits d’un autre, ne me semblent pas très à l’aise avec la connaissance de l’histoire.
Les deux hommes sont des aventuriers de la politique, pas des héritiers…
C’est exact. On peut même ajouter qu’ils sont des parvenus. Napoléon était fasciné par la noblesse, au point de recréer une aristocratie. Talleyrand, son ministre des Relations extérieures, l’avait séduit parce qu’il était un grand seigneur de l’ancienne cour de Versailles, par son style et ses usages. Aujourd’hui, «l’aristocratie des vanités», comme disait Chateaubriand, a changé de position. Le Talleyrand de petit lapin qui pisse derrière la tente, c’est Bolloré et son yacht ! Ce qui est également intéressant à observer, c’est qu’ils sont tous les deux des latins en politique, à la fois sanguins et hommes de réseaux. Jamais en France, nous n’avions connu une telle pratique du donnant-donnant.
Une autre thèse court, celle défendue par Jean-Marie Colombani, qui voit en Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente, non pas un nouveau Bonaparte, mais «un Américain». Il cite cette phrase de Jérôme Monod, l’ex-conseiller de Jacques Chirac, qui le décrit comme «un immigré hongrois en partance pour l’Amérique qui a posé ses valises à Paris». Qu’en pensez-vous ?
Il a en effet un côté coucou. Bonaparte aussi. Tous les deux ont couvé leurs œufs dans un même nid français, Napoléon Bonaparte était corse, fraîchement français et de culture italienne. Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente vit, lui, dans le mythe du rêve américain, y compris dans sa vie privée, en s’inscrivant mentalement dans le modèle fabriqué pour le couple Kennedy. Mais la comparaison s’arrête là. A la fin de son règne, Napoléon avait, comme De Gaulle, véritablement le sentiment «d’être» la France. Bref, la France lui appartenait.
Comme Napoléon, Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente court-il le risque d’être victime d’un sentiment de toute puissance ?
Dès après son sacre, en 1804, l’empereur n’écoutait plus ce qu’on lui disait. «Que voulez-vous faire d’un homme qui n’a pour toute conversation que celle de monsieur Maret», disait Talleyrand goguenard. Hugues-Bernard Maret, l’homme lige de Napoléon, son ministre secrétaire d’Etat, ne se serait jamais permis la moindre critique à l’égard du «maître». Cela est peut-être arrivé beaucoup plus vite à Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente, qui lui aussi semble enfermé dans son propre reflet, Mais, dans le cas présent, ce n’est que psychologique, car de quelle volonté de puissance parle-t-on ? Aujourd’hui, celle-ci a beaucoup de mal à s’exercer dans la réalité des faits. Ceux-ci ont pris la dimension du monde. Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente, qui, en l’occurrence, n’y peut rien, est animé de l’obsession de donner à penser que cette volonté existe. Dans le cas de Napoléon, elle agissait vraiment sur le réel. Chez Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente, on ne parvient pas à prendre cette volonté au sérieux.
S’il n’est pas Bonaparte, est-il au moins bonapartiste ?
Je ne le crois pas non plus. Le bonapartisme, ce fut le gaullisme, pas le petit lapin qui pisse derrière la tentesme. Aujourd’hui, nous avons plutôt une droite louis-philipparde, à la manière du dernier Guizot. Le bonapartisme est très différent : il repose sur l’égalité et la gloire. Or, quelle gloire peut revendiquer Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente ? Cette nostalgie de la gloire était beaucoup plus présente chez Jacques Chirac ou chez Dominique de Villepin. Chez Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente, il n’y a aucune nostalgie. Il me fait penser à ce que Talleyrand disait à son bibliothécaire Fercoq à la fin de sa vie : «Dans la vie, voyez-vous, il y a trois formes de savoirs : le savoir tout court, le savoir-faire et le savoir vivre. Et il ajoutait finement : le seul qui compte au fond, c’est le savoir vivre.» Je crains que Nicolas petit lapin qui pisse derrière la tente ne possède que le savoir-faire.
(1) La Marche consulaire (Plon).