La société britannique "sous surveillance"
Un rapport intitulé "Rapport sur la société sous surveillance", publié ce jeudi 2 novembre par la Commission pour l’information, qualifie la Grande-Bretagne de "société sous surveillance", où les faits et gestes de la population sont de plus en plus observés, analysés et enregistrés.
Ce document, pointe du doigt les caméras de surveillance, les analyses des habitudes de consommation, les enregistrements des mouvements des citoyens grâce à leurs téléphones portables, à leurs connexions internet...
"De plus en plus d’informations sont collectées, partagées et utilisées et cela s’immisce dans notre espace privé et mène à des décisions qui influencent directement la vie des gens", indique Richard Thomas.
"Des erreurs peuvent également être commises avec de sérieuses conséquences", comme des erreurs sur les personnes, la prise pour acquis de faits erronés, les soupçons envisagés comme des faits et des atteintes à la sécurité.
Le rapport a été rédigé par des universitaires réunis au sein du Réseau des études sur la surveillance (Surveillance Studies Network) à l’intention du Commissaire à l’information
Rapport sur la société de la surveillance
- Extrait :
Londres 2016 : Tout est sous contrôle
Comme tous les autres participants à la manifestation antiguerre qui se déroule au coeur de Londres, Ben Jones, 18 ans, fait l’objet d’une surveillance constante. De petits UAV (avions sans pilote) tournent au-dessus de leurs têtes. Ces avions espions ont fait leurs débuts lors des Jeux Olympiques de 2012 et le « succès » de ce que les publicités décrivent comme un « regard amical venu du ciel » suffit à justifier leur utilisation continue aux yeux du maire de la ville.
Les gens ne les remarquent pratiquement plus.
De minuscules caméras intégrées dans les lampadaires et les murs au niveau des yeux et en hauteur permettent une utilisation plus efficace des systèmes de reconnaissance faciale désormais universels. Les logiciels de morphage qui combinent les images provenant de différentes caméras pour produire une image tridimensionnelle sont également en cours d’essai, et ce en dépit des protestations des militants et des avocats pour qui ces images manquent de précision et ne sont pas « réelles ». Grâce à des réseaux sans fil virtuellement omniprésents, les caméras sont dépourvues de boîtiers encombrants et de câbles. Ces réseaux sont en outre reliés à un éclairage public intelligent, qui procure des conditions d’éclairage « idéales » pour la reconnaissance faciale, ainsi qu’à des projecteurs automatiques et des caméras supplémentaires, qui se déclenchent en cas de mouvement « inhabituel ».
Bon nombre de bâtiments officiels, qui étaient entourés de barricades en béton depuis 2001, sont à nouveau visibles, mais sont désormais protégés par toutes sortes de capteurs reliés à des barricades automatiques impénétrables qui s’enfoncent dans le sol lorsqu’elles ne sont pas utilisées.
Alors qu’ils se dirigent vers le métro, Ben et son ami Aaron pénètrent accidentellement dans la zone d’exclusion de Westminster. Ils sont arrêtés par des agents de sécurité privés, employés par le Westminster Business Improvement District (BID), et supervisés à distance par des opérateurs de la police via des ordinateurs de poche et des microcaméras montées sur les casques, qui scannent les deux garçons. Ben fournit l’habituel échantillon d’ADN qui est analysé instantanément et tend sa carte d’identité à micropuce.
- A la lecture des données qui s’affichent sur l’écran, le policier plaisante : n’est-il pas ironique qu’un militant anticapitaliste ait récemment passé ses vacances aux Etats-Unis ?
Ben grimace poliment.
Les cartes d’identité ne sont toujours pas obligatoires, et Aaron qui vient d’une famille ultra-chrétienne, refuse d’en avoir une. Sa mère y voit là « la marque de la bête ».
Aaron, lui, voudrait simplement qu’on le laisse tranquille. Car cela complique son existence : sans carte d’identité, Aaron sait qu’il ne pourra jamais travailler pour le gouvernement ni toucher des allocations ou même un prêt étudiant. Et il lui est interdit de voyager en avion ou sur les grandes lignes de train, même en Grande-Bretagne. Il commence à se demander si tout ça en vaut la peine !
Les choses sont en outre sur le point de se compliquer pour lui : en raison de la couleur de sa peau (il est noir) et en l’absence de carte d’identité, Aaron affiche un profil de risque élevé pour la police. Le QG de la police ordonne au personnel de sécurité de l’amener au poste afin qu’il puisse y être interrogé...
Ce scénario fictif, censé se dérouler en 2016, n’est pourtant pas si éloigné de la réalité actuelle !
En 2004, Richard Thomas, le commissaire à l’information chargé par le parlement de surveiller l’usage de nos données personnelles, avertissait que nous étions « en passe de glisser vers une société de la surveillance, tels des somnambules ».
Le fait est que nous vivons déjà dans une telle société :
- Les caméras vidéo nous observent en permanence : dans les immeubles et les rues commerçantes, sur la route et dans les quartiers résidentiels. Les systèmes automatiques sont aujourd’hui capables de reconnaître les plaques minéralogiques (et de plus en plus souvent les visages).
- L’usage de bracelets électroniques permet de surveiller les mouvements des personnes en liberté provisoire. Toute personne arrêtée par la police doit fournir un échantillon d’ADN, qui est ensuite conservé qu’elle soit ou non reconnue coupable. Des efforts sont également entrepris pour identifier de plus en plus tôt les « tendances criminelles ».
• Nous sommes constamment invités à nous identifier, qu’il s’agisse de recevoir des allocations sociales, des soins de santé, etc. Le gouvernement envisage aujourd’hui d’adopter un nouveau système de cartes d’identité biométriques dont certains paramètres (empreintes digitales et image de l’iris), seraient reliés à une gigantesque base de données personnelles.
- A chaque fois que nous nous rendons à l’étranger, notre identité, notre destination et nos bagages font l’objet d’un contrôle et d’une surveillance accrus et les informations recueillies sont stockées. Nos passeports sont eux aussi en train de changer d’aspect et sont désormais équipés de micropuces ; tout comme pour les cartes d’identité, il est aujourd’hui question de passeports biométriques.
- Bon nombre d’écoles utilisent des cartes à puce intelligentes et des systèmes biométriques pour surveiller les déplacements des enfants, leur alimentation ou les livres qu’ils empruntent à la bibliothèque.
• Nos dépenses quotidiennes sont analysées par des logiciels, et les données collectées sont ensuite vendues à toutes sortes d’entreprises. La célérité des centres de service et la palette des offres - prêts, assurances ou emprunts - dépendent en grande partie de notre pouvoir d’achat, de notre lieu de résidence et de notre identité.
- Nos appels téléphoniques, nos courriels et l’usage que nous faisons d’Internet risquent en permanence d’être interceptés et analysés par les services de renseignement britanniques et américains selon qu’ils contiennent certains mots ou expressions clés.
- Nos performances et notre productivité au travail sont de plus en plus étroitement surveillées et les organisations qui nous emploient s’intéressent de plus en plus à notre vie privée.
La société de la surveillance est devenue réalité sans que nous n’y prenions garde
La société de la surveillance est la somme totale d’un vaste ensemble de nouvelles technologies, de décisions de police et de développements sociaux. Certains de ces aspects sont essentiels pour fournir les services dont nous avons besoin, notamment en termes de santé, de prestations sociales et d’éducation. D’autres sont plus douteux. D’autres encore sont totalement injustifiés, intrusifs et oppressifs.
L’opinion du public peut être partagée, mais très peu de gens sont en fait conscients de l’existence de cette société de la surveillance, et celle-ci relève pour eux plus de la science-fiction que de la vie quotidienne. Ce qui explique la quasi-absence de débats publics autour de ce sujet.
L’industrie de la surveillance représente un chiffre d’affaires pharamineux et sa croissance est aujourd’hui bien supérieure à celle des autres secteurs d’activité (surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001) : La valeur de ce secteur dans le monde est estimée à près de 1 trillion de dollars US, et couvre un vaste éventail de biens et de services, allant du matériel militaire aux caméras de télévision en circuit fermé et aux cartes à puces.
La société de la surveillance est devenue lentement, subtilement et imperceptiblement une réalité, à la manière de petits sentiers qui à force de se rejoindre de façon imprévue se seraient peu à peu transformés en route, route dont il convient aujourd’hui de discuter et de débattre d’urgence.
- Inconvénients de la société de la surveillance
La surveillance ne relève pas d’un malin complot ourdi par une puissance diabolique : elle repose en grande partie sur de bonnes intentions ou du moins sur des intentions neutres comme un désir de sécurité, de bien-être, d’efficacité, de vitesse et de coordination. Certains systèmes de surveillance visent intentionnellement à limiter et à contrôler nos comportements ou mouvements, souvent à notre insu et sans notre consentement. D’autres ont cet effet sans vraiment le rechercher. Ce qui ne signifie pas que tous ces systèmes soient acceptables : il est crucial de bien comprendre les effets de la surveillance ainsi que ses conséquences sur notre vie personnelle et la société en générale.
Nous sommes de plus en plus préoccupés par les risques et les dangers, au lieu de poursuivre des objectifs sociaux plus positifs.
Un nombre croissant de situations quotidiennes sont aujourd’hui perçues en termes de « risque », et les mesures qui relevaient autrefois d’une sécurité exceptionnelle sont désormais la norme. Il est cependant rare que nous réfléchissions aux conséquences involontaires d’une telle approche et aux inégalités qu’elle entraîne en termes d’accès et d’opportunités : non seulement les distinctions de classe, de race, de sexe, d’implantation géographique et de citoyenneté en sont aggravées, mais elles sont aussi devenues une composante intrinsèque des décisions quotidiennes.
Les processus et les pratiques de surveillance contribuent aussi à la création d’un monde, dont nous savons qu’il ne nous fait pas vraiment confiance. La surveillance engendre la suspicion. Les employeurs qui équipent leurs stations de travail d’un enregistreur de frappes au clavier ou leurs véhicules de service de dispositifs de suivi déclarent ne pas faire confiance à leurs employés.
L’employé du service des prestations sociales qui recherche les preuves de cumul d’allocations ou interroge les voisins pour savoir si l’assuré fraude, affiche son manque de confiance à l’égard de ce dernier. Et les parents qui utilisent des webcams et des systèmes GPS pour surveiller les activités de leurs enfants avouent en fait qu’ils ne leur font pas confiance non plus.
La question fondamentale de cette société de la surveillance est de savoir si nous sommes tellement hypnotisés par le « besoin » de trouver des solutions high-tech aux problèmes de la délinquance, du terrorisme, de la fraude, etc... que nous en oublions de nous demander si ces solutions sont seulement adéquates et s’il existe d’autres réponses non technologiques ou moins envahissantes.
Ce bref document et le rapport complet qui l’accompagne entendent poser pour la première fois ces questions en vue d’inspirer un débat public très nécessaire. Il est possible que nous voulions vivre dans une société surveillée, mais il nous appartient alors de le décider en toute connaissance de cause, et non à la manière de somnambules.
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