Auteur Sujet: L'île du Sang  (Lu 6943 fois)

Pinpin la marionnette

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L'île du Sang « le: juillet 05, 2005, 18:32:30 pm »
Petite interruption dans mon roman pour me consacrer à une nouvelle, pour un concours organisé par Arte. Le thème : Les Vampires. 10 pages maximum. Ce n'est absolument pas ma spécialité, mais bon j'ai essayé de faire avec. Bonne Lecture.



« Celui qui se dit détaché de tout doit abandonner l’idée même de détachement. Celui qui est attaché à l’idée du détachement ne connaîtra jamais la paix de l’esprit. »

L’île du Sang

Une Soirée

Atroce enchaînement de circonstances néfastes, ou subtil mélange de drogues, quoiqu’il en soit, le cerveau de Yuno était en totale déconnection avec le temps et l’espace, « les manifestations sont infinies mais l’essence est partout la même… », cette phrase prononcée avec difficulté s’était répercutée contre un horrible mur avant de se noyer dans le flux surpuissant des basses électroniques ; en effet, l’interlocutrice de Yuno était déjà partie au loin, dans la foule et les fumigènes, effrayée par l’horrible dilatation des pupilles du jeune junky. Yuno, chercheur en philosophie, polyglotte et polytoxicomane, titubait, bousculait les danseurs, ne comprenait plus cette musique extrême et trop riche qui envoyait valser dans les roses les basiques rythmes binaires, pour plonger l’auditeur en pleine polyrythmie savante. Les rythmes disloqués qui rebondissaient en dolby dans la cave humide, les lasers épaulés par le stroboscope apériodique lui avaient fait perdre le reste de son piteux équilibre qui devait l’aider à rejoindre, quelque part, son groupe d’amis, ses deux amis, ses deux uniques amis en ce bas monde, Rech et Sylver, ces deux enfoirés de toxines qui avaient le don de vous embarquer dans des plans foireux qui finissaient, dans le meilleur des cas, par une troublante amnésie dans un divan inconnu et souvent inconfortable. Les bouffées d’hallucinations étaient de plus en plus violentes, des diables velus aux pieds fourchus qui dansaient en poussant des femmes de pêcheurs ivrognes dans les flammes éternelles ; le sol, quant à lui, n’était qu’un tapis roulant, amovible, mais néanmoins arc-en-ciel. C’est dans un couloir sombre, derrière un amas de poubelles et de seringues usagées, qu’elles commencèrent à s’estomper, pour laisser se reposer notre jeune ami, la tête entre les mains et les yeux fermés, abandonné dans de longs tunnels colorés, de vomitifs toboggans psychédéliques émergeant du néant, de son moi le plus profond, emplissant l’espace vide de ses orbites. Ses petits cris hargneux et le filet de bave qui pendait à ses lèvres, ne pouvaient en rien le sauver de cette abominable situation, revers inévitable de l’amusement chimique. Cette longue descente aurait pu se poursuivre une longue partie de la nuit, si la femme au t-shirt rouge n’avait pas pris la peine de le prendre sous son aile.

Consolation

Danser est une activité éprouvante, même pour moi, Lisa, de la 7ème génération du premier vampire ; oui, ça fait un sacré petit bout temps que je suis parmi vous. Au départ, en venant dans cette free underground, je m’étais promis de ne pas tuer. J’avais pourtant consommé quelques barquettes de sang Aphrodia™ avant de venir, mais là, rien à faire, l’envie était trop forte, de plus, l’aube est proche. Le soleil ne m’est pas mortel, grâce à aux traitements modernes, mais il est préférable quand même que je rentre chez moi avant le petit matin. A cause de l’uroporphyrinogène-isomérase, les porphyrines séparées de l’hème et libérées dans le sang convertissent l’énergie solaire en une énergie toxique pour les cellules corporelles, ce qui explique que les parties exposées au soleil peuvent être irrémédiablement endommagées, et comme je suis assez coquette, j’aimerais éviter que cela m’arrive à nouveau. Lors de la première guerre mondiale, ma demeure avait été détruite, le traitement était inexistant à cette époque, j’ai dû courir, en plein jour, m’abriter dans les bois, une partie de mon visage ne ressemblait plus à grand chose, j’ai dû attendre l’aube des années 70 pour une chirurgie esthétique valable, et encore une autre trentaine d’année pour profiter des traitements des clans vampiriques contre la lumière du soleil. Il était hors de question de quitter cette fête tout de suite, je devais, avant tout, satisfaire cette insatiable faim. Je porte mon t-shirt «Porno Steak», un de mes préférés, et là devant moi, gît la cible parfaite, un mâle endormi, caché dans les poubelles, ses seules amies, à l’image de son état, détritus de la société. D’habitude, je suis plutôt prudente, je me méfie des gens qui traînent dans les soirées, porteurs potentiels de maladies gênantes, ce soir, je vais toutefois faire une exception, car une femme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureuse. J’ai oublié de vous dire, je suis célibataire, enfin, je suis devenue célibataire, on apprend à le devenir à force de voir les hommes que l’on aime vieillir et mourir, à force de fausses couches, on apprend à comprendre qu’en tant que femme vampire, on n’est plus une femme entière, il ne subsiste en moi que quelques traits de caractère, et un phénotype, propres aux femmes. Je lui susurre quelques paroles rassurantes, pour le consoler, avant de croquer sa jugulaire, ce doux son, et le divin liquide s’écoulant au fond de ma gorge, autre chose que ces produits surgelés que je dois chaque semaine échanger, contre mon maigre salaire d’artiste peintre, lors des bruyants marchés noirs vampiriques, organisés dans les caves les plus sombres des plus bas quartiers par le clan Aphrodia, ces riches vampires mafieux qui produisent du sang humain en batterie. Mon sexe est humide, preuve que ce breuvage est excellent ; le sang est un plaisir sans nom, plus fort que toutes les drogues, que toutes les pratiques sexuelles humaines, si bien que l’on ne veut plus se plier à d’autres activités, qui nous paraissent du coup bien fades. Les années m’ont apporté plus de vigueur, plus de pouvoirs, mon préféré étant de sonder les consciences, de dévorer les connaissances, de tisser des relations séculaires dans les hautes couches intellectuelles et culturelles de la société avec une élégante aisance. Mon éternité m’a aussi apporté patience et sagesse, même si paradoxalement, je rêve d’une vie pleine de risques et de dangers. La société de consommation n’a pas épargné les vampires, elle est loin l’époque où chaque soir nous devions chasser notre nourriture, aujourd’hui, nous faisons comme tout le monde, nous achetons notre sang, et la plupart des vampires ont adopté une vie faite de confort et de cocooning, de facilité paresseuse, d’habitudes ronflantes. Je ferme les yeux, le sang me procure de drôles d’effets, des syndromes particuliers, un long couloir coloré se dessine, mes jambes s’engourdissent, mes yeux se révulsent, les hallucinations débutent timidement, ce sang n’est pas très pur, ce type devait être défoncé plus que jamais. Je ris nerveusement sans arriver à me contrôler.
   
Trio Trip

Rech et Sylver dansaient en se bousculant, en agitant les bras pour effrayer des souris imaginaires qui jonchaient le sol, ils riaient aux éclats, oubliaient leur vie de geek en piétinant des gobelets vides poilus avec de longues queues roses, pendant que les murs parlaient de Descartes, et que le DJ ne semblait ne plus faire qu’un avec son pc portable, la nouvelle prothèse clownesque, qu’il portait maintenant en bandoulière en posant pour des photographes qui n’existaient pas. Le sol menaçant de s’effondrer dans le cœur de l’enfer à la moindre secousse supplémentaire, il était nécessaire de sauter d’avantage pour stabiliser la chute. Une jeune fille au t-shirt rouge pornographique vint se greffer à leur joyeuse troupe pour flancher ses courbes sur les saccades de beats névroleptiques, dans des bouffées d’infra-basse, dans un déluge de t-shirt ondulant sur des chœurs distordus, les yeux rivés dans le plafond qui montait. La fille était blonde, son teint blanchâtre, elle portait un pantalon en cuir noir, et des bottes, noires également, lui remontant presque jusqu’aux genoux. Les pilules, les acides, le speed s’échangeaient comme des autocollants panini dans une cour de récréation, moyennant un sourire courtois, ou ce qui avait paru être un sourire courtois alors qu’il s’agissait bien souvent d’un rictus de mâchoire incontrôlé. Les narines ne chômaient plus, les têtes claquaient contre le béton, chacun essayant de goûter à son propre jus de cervelle. Sylver embrassa, de sa langue asséchée, Lisa, qui s’était alors présentée entre deux pics sonores de 130 DB, au joyeux duo mal dans sa peau. Dans la voiture de Rech, ils firent même leur première expérience de triolisme maladroit pendant que la flicaille tentait de vider le parking improvisé dans la boue par les organisateurs qui avaient sans doute déjà quitté les lieus avec le DJ pseudo-célèbre, Lisa en avait même oublié le soleil levant. Sur un cd de neurofunk, la voiture, à toute allure, se faufila entre les camions sur ce qui semblait être une autoroute, le front collé contre le pare-brise, Lisa goba quelques trips supplémentaires, la voiture s’écrasa dans un poteau sur la côte. C’est la cale d’un chalutier qui leur servit d’after, étendus sur les caisses qui leur parlaient de leur condition de caisse en bois, nos jeunes héros découvraient une liberté d’entreprendre qu’ils ne soupçonnaient même plus, les motifs fractals des alentours malicieux se stabilisèrent environ 10 heures plus tard, quand le chalutier était en plein océan pacifique, se balançant au gré des hautes vagues sous un orage qui déchirait le ciel, tel une punition divine. Sylver, en pleine descente dépressive, pleurait, de sa triste vie de citadin, plus que de cette pénible situation, cette croisière acidifiée. Rech comptait les bruits de tonnerre, et était persuadé qu’en les additionnant, puis en les soustrayant par ordre décroissant, il obtiendrait la véritable signification du nombre d’or, et donc du Multivers. C’est Lisa, encore bouleversée par son cocktail de drogue qui décida de sortir la première sur le pont. Les autres la regardèrent monter les escaliers métalliques d’un regard singulièrement vaseux.

Un Beau Bateau

Le ciel ne faisait qu’un avec l’océan, l’un semblait l’extension logique de l’autre, les mouettes surfaient circulairement sur des points de lumières découpés par un rayon de soleil, se glissant entre les failles des nuages noirs. Sur le pont, un groupe de marins affairés dans leurs activités de navigation en eaux troubles, de puissantes vagues faisaient chavirer le chalutier au gré de la tempête ; elles apportaient une fraîcheur exquise sur le visage blanchâtre de Lisa. Une immense plénitude s’empara de sa poitrine, les ténèbres lui apportaient sérénité et vibraient en harmonie avec les pulsations de son cœur. « Beautiful place » articula t’elle en fixant cette viande fraîche, tantôt effrayée, tantôt étonnée de son incursion surprise sur le théâtre des manoeuvres. Après qu’un coup de tonnerre eut lancé le signal de départ de la grande bouffe, Lisa se jeta sur un homme au  hasard, lui agrippa la tête, lui plantant dans le visage ses ongles énormes, qui s’étaient libérés, tout naturellement, des doigts qui leur servaient de fourreau, avant de le mordre sauvagement, de plonger sa mâchoire goulûment dans sa nuque, d’arracher sa chair tendre, de sentir son gosier déborder de sang frais, elle poussait des cris perçants, ses canines ressortaient presque entièrement de sa gencive, son regard révulsé n’avait plus rien d’humain. Nulle sensualité ici, Lisa ne souhaitait qu’une chose, se sentir libre comme un animal et oublier toute forme de civilité. Elle lança sa proie par-dessus bord, dans l’océan déchaîné, d’un coup de poing insignifiant, et bondit à une vitesse féline sur le suivant. Ce manège avait duré une bonne heure, elle s’en alla rejoindre les deux junkies après qu’elle eut retourné chaque chambrée, chaque recoin de la coque. Elle prit sous son bras quelques saumons au cas où ses collègues de free party auraient eu un petit creux. Vu de loin, le navire paraissait pleurer du sang qui se diluait peu à peu dans l’eau salée. Son visage, jusqu’à sa chevelure, était barbouillé. Les deux garçons dormaient entre les caisses, recroquevillés dans une posture embryonnaire. Ils étaient morts. Un des marins avait sans doute voulu se cacher dans la cale, et les avait tué pensant qu’ils étaient également des vampires ; ils avaient dû tenir des propos incohérents en mettant bien en évidence leurs pupilles. Elle renifla, et ouvrit une caisse parmi tant d’autre. Elle tua le dernier moussaillon d’eau douce qui s’y logeait, d’un baiser mortel dans le cou, elle embrassa ensuite son front en sueur, en décolla ses lèvres à son dernier battement de coeur. C’est dans la pénombre de la cale qu’elle put enfin dormir en paix et laisser ainsi les drogues se dissoudre.  
 
Robinson Vampire

En début de soirée, elle sortit de son trou. Le bateau s’était coincé entre les rochers, à une centaine de mètres d’une île sombre. Elle enroula son t-shirt autour de sa tête, pour éviter de le mouiller, on ne pouvait plus voir que ses yeux bleus et quelques mèches blondes dépasser. Elle laissait aux vagues le doux spectacle de sa poitrine ronde et ferme enveloppée dans un soutien-gorge blanc. Elle nagea, d’un style gracieux et furieusement féminin, quelques minutes, vers la plage. Les palmiers noirs flottaient au vent, la plage, jonchée d’ossements, désolée, morbide, mais belle toutefois ; des crabes s’abritèrent au loin. L’île était soumise à une fine pluie de cendre qui recouvrait la plage. L’effet de son traitement allait s’estomper dans les 24 heures, elle n’allait sans doute pas survivre au prochain lever de soleil. Son téléphone portable était inutile, il n’y avait aucun réseau, dans son autre poche, quelques billets et un paquet de chewing-gum à la menthe. Au milieu de l’île s’élevait une haute montagne, de la fumée s’en échappait. Elle se promena en mastiquant un chewing-gum le long de la plage, elle enleva ses bottes, pour sentir le sable caresser ses orteils. La situation n’était pas aussi critique, il devait y avoir assez d’animaux sur cette île pour tenir un an, ce qui ne signifiait plus grand chose pour elle. Il suffisait d’attendre d’hypothétiques secours. Elle décida, après s’être rechaussée, d’explorer l’île.  

Elle s’avança d’un pas prudent dans la jungle mystifiée par un melting pot d’étranges cris d’animaux. Elle vida de son fluide vital un perroquet, bien croquant, pour s’assurer qu’il était possible de s’en contenter, le goût n’était pas fameux, mais ça allait pouvoir être suffisant. Elle noua sur ses épaules son t-shirt, qui faisait maintenant guise de petite cape rouge. La lune était pleine au milieu d’une nuit apaisée, elle la regarda quelques instants, et soliloqua : « Chaque situation est différente, aucune règle fixe n’existe en ce monde, le tout dépend de la situation de chacun ».    

Livraison

Après quelques heures de marche, j’ai l’impression d’être enfin au centre de l’île, le jour va se lever bientôt, il est nécessaire de trouver un habitacle obscur et calme pour passer la prochaine journée. Les pensées se bousculent dans ma tête, j’échafaude des combinaisons de scénario pour tenter d’entrevoir une issue favorable à cette situation peu commune, que je n’ai vécue, jusqu’à présent, que par procuration dans divers médias. J’entends du bruit, de l’agitation, une masse en mouvement. Furtivement, je m’approche d’un buisson, et me voilà devant un incroyable spectacle. Un camion transportant de jeunes humains dans une grotte aménagée, camion escorté par des vampires armés. Ils portent tous des casques, et d’étranges combinaisons sur lesquelles je devine l’écusson du clan Aphrodia™ ; me voilà donc dans une de leur usine, voir mieux encore, leur seule et unique usine secrète. Il doit y avoir un port de l’autre côté de l’île sans doute, pour assurer les livraisons. Folie furieuse, ambition suicidaire, je ne sais pas, mais je vais m’infiltrer dans cette base, qui doit posséder tout l’attirail nécessaire à ma survie. Je pourrais me contenter de fuir, mais cette situation se présente enfin comme le défi que j’attendais depuis tant de décennies. Un défi de taille pour pimenter mon existence. Je suis attirée par cet endroit. Une forte attirance.

L’Enfer Métallique

De porte dérobée en porte dérobée, Lisa, experte en infiltration, se retrouvait à l’entrée d’une salle immense, de multiples passerelles métalliques découpaient l’espace, en dessous, le vide profond, une trentaine de mètres, une piscine de sang. Des tripes, des organes, défilaient sur des tapis roulants avant d’être broyés dans de gigantesques turbines tournant à plein régime. Il pleuvait du sang dans cette pièce, dans un vacarme sans nom, des cris de douleurs, des presses hydrauliques broyant la chair humaine, les troncs parfois encore agonisants qui ne pouvait soulever que l’horreur et la pitié. Le plafond était percé d’une infinité de petits trous, une passoire laissant perler le sang. C’était une énorme boucherie à viande humaine. On avait l’impression que les parois métalliques avaient été conçues spécialement pour effrayer les visiteurs. Des sirènes retentissaient, les lumières rouges clignotaient, c’était l’enfer métallique. Des gargouilles vomissaient des torrents d’hémoglobine dans la mer de sang, une vingtaine d’ouvriers casqués avaient l’air occupé, ils assuraient la maintenance de cette machinerie diabolique. Ils étaient munis d’armes presque trop grandes pour eux. La tête de Lisa commençait à tourner, l’odeur du sang, l’appât du sang, la fièvre du sang la gagnait, il y avait trop de sang, ses griffes jaillissaient, elle ne pouvait s’empêcher d’ouvrir grande la bouche, ses canines en pleine activité, c’était son sang, son usine à sang, son entrepôt personnel à sang, une sensation nouvelle, une envie de tuer lui remontait de l’estomac. Elle se glissa derrière un garde, se faufilant comme une gazelle derrière les poutres de fer, lui arracha la tête, lui subtilisa son épée et son arme. Arme compliquée, pouvant jouer le rôle de mitraillette ou de lance-grenade. Elle tira à l’aveuglette dans la salle, détruisant quelques machines, l’alerte était lancée. Des spasmes violents parcouraient son échine.

« C’est mon sang !!! », elle chargea sur les premiers ouvriers vampires, elle les découpa en rondelles et propulsa leurs restes par une onde de choc, jaillissant de sa main, sur un autre amas de figurants. En courant sur les murs, elle vidait les chargeurs dans les têtes, arrivée au corps à corps, elle arrachait les visages à mains nues, ses déplacements se déroulaient à une vitesse folle, personne n’arrivait à viser, les grenades pleuvaient, elle se servait de chaque passerelle comme d’un tremplin, rebondissait sur le plafond, les murs, broyait tout sur son passage, en un cri. Elles sentaient ses pouvoirs augmenter, cette rage folle, son soutien-gorge était rouge à présent, le sang perlait de son front à ses pieds, sa peau bouillante, son désir de sang infini, elle était à l’état sauvage. Un visage s’afficha sur un des murs, un jeune vampire blond. « Vous ne survivrez pas, abandonnez mademoiselle… ». « Ta gueule, je vais te faire bouffer tes couilles, tu m’entends  connard ?!!? », cette remarque avait éclaté spontanément, Lisa ne contrôlait plus son agressivité, la concentration de sang dans l’air était trop forte. Elle atterrit sur un tapis roulant, à l’autre bout, le contremaître, vampire responsable de la salle, reconnaissable avec son casque doré. Il dégaina un long sabre, Lisa laissa tomber ses armes à feu et chargea avec son épée vers le vampire. La confrontation était serrée. Ils se déplaçaient sur le tapis roulant recouvert d’organes et de boyaux, ça glissait, ça couinait, ça splittait. « Je vais enclencher la vitesse maximale de ce tapis roulant, si vous le permettez, ça rajoutera plus de corps à la scène… ». Leurs jambes bougeaient à un rythme frénétique, l’un courant vers l’avant, l’autre vers l’arrière, pour tenter de rester sur place, pendant ce temps les coups et les esquives se faisaient de plus en plus savantes et violentes, chaque choc provoquait des étincelles, le vampire lui fendit un sein, qui déversa son mélange de sang et de graisse. Elle déchargea, en un hurlement, une onde qui poussa son adversaire dans une turbine où son corps disloqué, haché menu, charcuté, alla rejoindre les profondeurs de la cuve. « Quelle grâce, regarde toi, comme tu es belle, tu m’excites beaucoup tu sais… ». Sur l’écran apparaissait maintenant Lisa, filmée en gros plan, ses yeux brillaient comme des rubis, de ses gencives saillantes, ses canines, qui n’avaient jamais été aussi longues et brillantes, son corps était recouvert de sang, ses cheveux étaient teints en rouge. La pluie sanguine perlait sur son front. L’image était atrocement belle. Elle respirait avec colère. « Tu comprends maintenant pourquoi tout le monde porte ici un casque d’oxygène ? Justement pour éviter ce genre de spectacle grotesque et primaire… nous sommes des vampires civilisés tout de même…». Lisa ramassa une deuxième épée qui traînait à proximité d’un cadavre et prit l’ascenseur qui la conduisit au dernier étage de la manufacture.  

Les 4 Ninjas

Me voilà dans une pièce étrange. Des cadavres asséchés, vidés de leur sang pendent partout à des crochets, au plafond, je suis au centre de la pièce, je suis entourée par 4 portes. J’ai deux épées en mains, le sol est baigné dans 10 cm de sang, j’en bois un peu pour me revigorer avec la paume de ma main, tout en gardant l’œil fixé sur les portes. L’image du vampire blond se projette sur les 4 murs, il s’exprime avec son ton sarcastique. « Tu vas me montrer ce que tu vaux face à l’élite des vampires de combat, mes 4 vampires préférés, les vampires ninjas, une race que j’ai crée, ils ne sont pas très bavards, ne fais pas attention, c’est normal, je les ai privé de ce don… ». Les 4 portes s’ouvrent. Me voilà entourée par 4 vampires ninjas, ils sont grands, fins, élancés, masqués, ils sont protégés d’une fine côte de maille, il ont chacun un katana en main, ils ne se serviront apparemment que de cette arme. Il est certain qu’il va falloir me servir des cadavres pendus pour me protéger de leurs attaques, ils doivent le savoir aussi bien que moi.

Je n’étais plus que rage.

Deux d’entre eux déambulent acrobatiquement sur les plafonds, effectuant des rotations à l’aide des chaînes qui y sont pendues, essayant directement de me trancher la tête, je cours à travers toute la pièce en faisant balancer les cadavres. En me camouflant derrière un pendu obèse, j’arrive à en surprendre deux, que je décapite avec une inhabituelle aisance. Un des ninjas me surprend et m’ouvre le bas du ventre, je sens mes intestins s’écouler de mon corps. Douleur abominable. Je décide de manipuler un des esprits, de soumettre un de mes ennemis à mon service, leurs cerveaux sont spongieux et peu résistants, leurs âmes sont superficielles, particulièrement faibles, sans doute ont-ils été vampirisés à un stade tardif de leur agonie, ce ne sont que des morts-vivants. Le dernier ninja décapite froidement son collègue, se rendant compte de sa trahison. Il charge à présent vers moi. Je lui envois des bouts d’humains par une onde de choc, il les évite, les découpe pour se frayer un chemin, nos armes se frottent à nouveau, mais je suis bien plus habile surtout depuis que ma poitrine commence à se régénérer, ses coups sont puissants mais bien trop lents, il finit par reculer, puis par prendre quelques mètres de distance avec moi. L’autre blondinet raconte sa vie dans les haut-parleurs. « J’ai eu toute l’éternité pour maîtriser toutes les sciences, je pense que l’on peut dire, sans hésitation, que je suis l’être le plus intelligent de cette planète. Tel le roi d’une fourmilière, je conçois des vampires spécialisés et asservis à mon royaume ». Il va être temps d’en finir. Le ninja laisse tomber son katana, à mon grand étonnement. « Si tu me le permets, je vais prendre le contrôle de ce dernier ninja, histoire que ce combat ne soit pas trop aisé ».

Le Ninja

Son front se contracta, et presque aussitôt un spectacle peu habituel se produisit, les têtes se dévissèrent des cadavres et commencèrent à entrer en orbite autour de lui, par sa force d’esprit, il y en avait bien une douzaine, et elles tournaient de plus en plus vite. Il avait appliqué un filtre protecteur autour de son âme, il était inutile de tenter de le sonder. Le vampire blond commençait à s’esclaffer dans son écran. Le ninja m’envoya à toute vitesse une première tête qui se fendit en deux contre mon épée qui vibra très fort, il était certain que mes armes n’allaient pas tenir face à 11 autres chocs de ce calibre, il allait falloir apprendre à les éviter. Il augmenta la cadence, il les projetait à un rythme bientôt frénétique, en leur faisant adopter des trajectoires de plus en plus complexes, je commençai quelques sauts périlleux tout en avançant vers lui, une tête vint percuter de plein fouet mon genou qui se croqua dans le mauvais sens, j’étais à sa merci, il n’avait plus qu’à viser ma tête, je les repoussais avec mes épées, une d’entre-elles se brisa, puis je ne vis pas d’autre solution que de les lui renvoyer par onde de choc. Mon premier essai fut le bon. Je lâchai mon arme, et en joignant mes deux mains et en me concentrant au maximum, je renvoyai un des crânes qui, tel un boulet de canon, désintégra littéralement la tête de mon adversaire. Les crânes volants s’écroulèrent sur le sol. Je m’étendis à même le sol, et je bus un maximum de sang, j’étais épuisée, je n’avais plus qu’à espérer quelques minutes de répit. Les 4 visages projetés du vampire blond me regardaient d’un air malicieux, je n’osais imaginer ce qu’il m’avait préparé pour la suite. « Je te déconseille de boire le sang de ces ninjas, je l’ai conçu comme un poison mortel. Que je suis bon de t’avertir, n’est-ce pas ? ». Un escalier émergea du plafond, comme une invitation à poursuivre mes aventures.

Passerelle

Une passerelle d’architecture gothique, aux voûtes en arc brisé, séparait les structures industrielles d’une grande villa blanche, qui avait même plutôt l’allure d’un petit château aristocratique. Elle était située au sommet de la montagne, on pouvait contempler toute l’île d’ici. La grande cheminée du fourneau libérait une épaisse fumée sombre, et une multitude de cendre. Il y avait, le long du chemin, des tourelles de défense assez sophistiquées, en alternance avec des statues de chérubins et de gros piliers aux motifs orientaux, un charmant mélange de genre dans la décoration, le choix d’un homme de goût. Il faisait bien trop calme, Lisa souffrait, elle en pleurait, en marchant péniblement, traînant son genou gauche tordu, sa régénération était bien trop lente, elle n’avait bu que du sang de seconde zone, il lui fallait un sang haut de gamme, un sang de vampire puissant, pour espérer se remettre d’aplomb pour la suite de son combat. Elle tenait de la main droite une partie de ses intestins qui menaçaient de s’aplatir sur le carrelage blanc, il était impossible de ne pas deviner quel chemin elle avait emprunté pour en arriver là, elle laissait sur sa route une longue traînée d’hémoglobine tel un petit poucet. De l’autre main, elle tenait un Shot Gun, fraîchement découvert sur le trajet, il ne contenait plus qu’une dizaine de cartouches. Elle se demandait ce qui l’attendait dans cette demeure, elle espérait surtout pouvoir faire la peau à ce vampire savant fou, et boire son sang au passage pour accéder à une plus grande puissance et, pourquoi pas, prendre le contrôle du clan Aphrodia™ ; voilà des pensées qui remontaient le moral. Une troupe de trois vampires montés sur jet pack, aux yeux opaques, surgirent d’un flan de montagne. Des flammes jaillissaient du fond de leur gorge, de leur cri suraigu, ils visaient la passerelle, la chaleur était  intenable. Tout en courant, Lisa commença à tirer, ils bougeaient trop vite, et il était bien difficile de viser avec ses blessures. Leur jet pack était câblé directement à leur cerveau, ce qui le rendait totalement ergonomique, les vampires volants se déplaçaient dans les airs très naturellement. Pas question pour elle cependant de terminer en un inutile tas de chair fumante. Elle courrait sur les piliers en visant leur dos, adoptant des trajectoires burlesques pour éviter toute forme de prévisibilité dans ses mouvements, après qu’elle eut été s’abriter derrière une statue de chérubin pour se protéger des jets de flamme, elle déchargea ses dernières cartouches sur le trio, qui s’en allèrent s’écraser non loin dans les roches dans une explosion enflammée, en un cri rauque de désespoir. Ses cheveux étaient partiellement brûlés, ainsi que son bras gauche, son pantalon de cuir et ses bottes avaient fondu contre ses jambes, plus de munitions, plus qu’une pauvre épée fendue, la situation était critique. Au bout de la passerelle, une porte en chêne, elle l’ouvrit, et c’est presque en rampant qu’elle déboula dans une pièce à la propreté irréprochable, meubles en bois noble, une splendide cheminée sculptée, et de nombreux tableaux impressionnistes tapissant les murs. « Bienvenue chez moi… ». Une voix, qui était devenue familière, s’échappait d’un haut parleur positionné au dessus de la cheminée. Elle tomba au sol, dans une flaque formée de son propre sang, un majordome, sorti de nul part, s’avança devant elle, et lui déposa un large plateau doré au sol. « Voilà de quoi te remettre en forme, des cachets pour la lumière du soleil, un flacon de sang, très bon cru, et quelques vêtements de rechange… ». En un cri, Lisa se redressa et décapita le majordome insignifiant. « Quel dommage, c’était inutile, il était très gentil et totalement inoffensif. Bon, dépêche toi de te soigner et de te changer, que l’on puisse enfin passer aux choses sérieuses ».  Après son repas, Lisa sombra dans un profond sommeil. Le plaisantin n’avait vraisemblablement pas oublié de verser un puissant somnifère dans le flacon de sang.

Roland
 
Il se laissa choir dans un siège cuivré et remua les lèvres : « Vous me paraissez bien audacieuse jeune fille, mais votre air me parait familier, si bien que je vous réserve un sort particulier, mais avant d’y venir, j’aimerais vous expliquer certaines choses… ». Il se leva doucement. C’était un vampire jeune et blond, d’un éclat incroyable, issu sans doute d’une des premières générations, il était très bien habillé, tout droit sorti de la jet set, une chemise à peine froissée. « Je m’appelle Roland, cette île m’appartient. Comme tu as pu le constater, j’importe de jeunes gens défavorisés pour leur offrir un destin moins funeste que leur banale existence mortelle puisse leur offrir, je les transforme en nourriture pour notre noble race supérieure. Je te rassure, je suis en train de mettre au point des machines capables de cloner le sang, bientôt ces enlèvements sauvages feront parti du noble passé de ma multinationale.». Il fit un signe de la tête et les deux vampires zombies qui empoignaient Lisa l’emmenèrent dans une pièce voisine. Le spectacle y était très particulier, la pièce était bondée d’ordinateurs et de sièges où étaient étendus des vampires endormis reliés par intraveineuse à des cuves de sang frais. « Ici, Lisa, j’étudie les vampires, nous les maintenons en sommeil virtuel, ils vivent une vie dans une simulation que j’ai conçue, une simulation basée sur mes pouvoirs, elle pioche dans leurs souvenirs et leur recrée dans le cerveau, leurs plus croustillants instants de vie, des sensations plus vraies que nature, ils sont heureux Lisa. Pour certains, je reprogramme le cerveau, et j’en fais des soldats de ma garde rapprochée, des techniciens, ou de la main d’œuvre. Pour d’autres, j’injecte, par intermittence, des situations nouvelles, et j’analyse leurs comportements, ces travaux permettront à terme d’unifier la race des vampires, et de fonder un peuple conquérant capable d’aller cueillir le fruit qui nous revient depuis nos débuts ; la domination du monde. J’aimerais simplement créer une race nouvelle de vampires capables de se fondre bien plus encore dans la société, des vampires qui ne seraient pas conscients de leur condition, qui vivraient une vie d’humain ordinaire, ils seraient juste animés par une ambition démesurée d’accéder aux postes clés, je pense aux armées des puissants gouvernements par exemple ». Roland s’approche à quelques pas de Lisa. « Je suis en passe de devenir le fournisseur numéro un de sang, et j’espère dans un futur plus ou moins proche, glisser dans ce sang ce qui me permettra de contrôler les esprits de chaque vampire, et tu vas contribuer à mon dessein, un siège dans cette salle t’attend, on a déjà tout préparé, ça ne te fera pas mal, ce sera juste un beau et long rêve…». Lisa attrapa les deux bras des vampires qui la tenaient en respect, et prenant appui sur eux, elle se propulsa en l’air où elle leur décocha deux violents coups de pieds dans la nuque, elle attira dans ses mains l’épée d’un des gardes, et eut juste le temps de parer le coup de sabre que venait de lui décocher un Roland rapide et habile, les traits du visage plissés, le regard rouge, en légère lévitation au dessus du sol. Ils s’échangèrent des coups très rapides, ils se rapprochèrent de plus en plus, les lames s’entrechoquaient dans un foisonnement d’étincelles, elle recula d’un bond, décapita sèchement les deux gardes encore au sol, au cas où ils auraient eu la mauvaise idée de se relever pour la transpercer dans son dos, et couru à travers la pièce entre les cuves sanguines. Roland bondit au plafond et se mit à courir pour retrouver sa jeune proie au milieu des câblages, des sièges, des vampires, des cuves, des écrans. La tête en bas, les pieds cloués au plafond, il sentait la colère descendre en lui ; la colère de ne pas pouvoir se servir de tous ses pouvoirs au risque de flamber son laboratoire. Il atterrit soudainement, presque en se téléportant, en face d’elle, d’un preste bond, par un réflexe presque chanceux, d’un angle presque improbable, elle lui trancha une main, celle qui tenait le sabre, il beugla, elle entama un long et puissant mouvement pour le décapiter. Quand la lame allait trancher le cou de Roland, son corps se figea, le vampire venait de déposer son index au centre du front de la jeune femme. La lame n’était qu’à quelques millimètres de sa jugulaire. La chemise de Roland ondulait de manière régulière, au rythme des cheveux de Lisa flottant dans l’air épuré. « Temps mort » prononça calmement le vampire. Un voile sombre s’abattit devant les yeux de Lisa. Roland ferma les yeux.

Inconscient

Les avions parcourent le ciel mauve, le toit de cette maison, sa maison, s’effondre sur elle. Elle court nue sur une plaine de cadavres, une plaine emplie de ses souvenirs, sans le bois salvateur à l’horizon, elle court dans le sang, dans ce cauchemar d’autrefois. « Rien ne m’empêche de remonter plus loin ». La voix monocorde résonne, elle ouvre les yeux dans une pièce humide, une femme à genou en pleurs, la tête dans les mains, une baignoire de bois débordante en est le centre d’intérêt, le son des goûtes d’eau s’écrasant sur le plancher pourri, l’occupant, le baigneur, le cadavre du baigneur, bouche grande ouverte, les mouches se promenant déjà sur ses dents, les nuages défilant à toute vitesse par la fenêtre, les poignets ouverts, des lames de rasoir de papa. « Ca ne te rappelle rien Lisa ou devrais-je dire Marie Elisabeth ? ». Des voix d’enfants dans sa tête tournoyante, des murmures, et Roland, le regard hilare appuyé contre le mur comme un meuble maléfique dont personne ne veut avoir conscience. « Et si tu sortais dehors à présent ? ». Elle ouvre la porte grinçante, des larmes salées perlent sur son visage, une grande pelouse verte infinie, elle se retourne presque aussitôt, et cette même pelouse avait déjà remplacé furtivement la maison, sa maison, qu’elle vient de quitter, il ne reste que la bassine de bois vide, avec le sang séché. « Regarde… ». Une armée de soldat de l’Empire charge sur la pelouse, elle poursuit maintenant une femme, cette femme est devenue sa mère, cette femme n’a plus de tête à présent. « C’est triste d’être orpheline n’est-ce pas ? Devine quoi… je peux aller où je veux… en toi, au plus profond. » Elle essaye de crier et déjà le décor se déforme autour d’elle, elle est seule, telle une souillon, sous la pluie, pieds nus, sans culotte sous sa robe qui devait être blanche autrefois. « Et voici ton sauveur qui s’avance vers toi, qu’il a été bon en ce jour, il t’a offert une nouvelle chance, faute de quoi, tu aurais terminé entre les mains de je ne sais quel odieux. » L’homme de noir vêtu, de son haut de forme vétuste s’avance vers la jeune femme, dont une des jambes pliée en angle soulevait sa fine robe salie par la vie de prostituée, il la prend dans ses bras, elle se recroqueville en baissant les yeux, il lui parle dans l’oreille, elle se sent réconfortée, elle le sert dans ses bras, très fort. « Regarde, il ne touche pas tes seins comme les autres, tes beaux seins… ». Il ouvre doucement sa bouche pour lui dévorer le cou, elle recule. « Tu hésites ? Pourtant ce n’est pas comme ça que ça s’est passé, tu avais accepté, tu avais formulé ce choix… ». La flûte devient dissonante. Elle hurle à plein poumon, ses muscles se contractent en un effort démesuré, le décor se brise comme du verre.

Délivrance

« Petite pute que tu étais, ils ne t’ont pas raté pourtant, tu étais une esclave, tu étais leur objet, tu n’étais rien… ». La voix se voulait plus sèche, on pouvait y déceler un certain agacement, c’était la première fois que Lisa pouvant sentir une certaine faiblesse chez Roland. C’était le moment de s’en sortir. Sortir de son piège des illusions. Se servir de son pouvoir. Ils étaient tous deux dans une chapelle, fraîche, un peu mystérieuse, au centre, sur un carrousel, elle était assise sur le cheval blanc, à l’opposé du cercle, Roland sur son cheval noir, entre eux, des poneys insignifiants, et ils tournaient. Le col empesé, les souliers vernis, Lisa était habillée comme dans ses plus beaux jours du 19ème siècle, Roland la fixait dubitativement. « Tu n’avais pas à refuser l’offre de ton sauveur, tu as résisté, et pourtant ce confort, que tu as gagné, ce goût de la vie retrouvé, à qui le dois-tu pauvre sotte ? Nous manquer de respect alors que nous t’avons offert l’éternité, audacieuse écervelée… ». Lisa ne pouvait de toute façon pas parler, elle se contenta de descendre de son cheval, qui commençait à saigner par tous les orifices, de traverser le carrousel, et de s’asseoir à l’arrière de Roland, qu’elle prit par la taille, presque avec passion. Il avait le regard d’un homme terrorisé plutôt que celle d’un homme en colère, Lisa reprenait le contrôle peu à peu. La chapelle se mua en ciel, le carrousel en nuage. La flutte cessa son chant grotesque, les voix d’enfants devenaient sérénités et chants d’oiseaux, la vapeur était inversée, Roland était paralysé, c’est Lisa qui put enfin rompre le silence : « Sans discriminer, soyons un avec les phénomènes, ainsi le deux devient un, et le regard s’ouvre complètement ». Roland déglutit. « J’éprouve de la répugnance pour vous Roland, vos méthodes méprisables sont à vomir, je ne sens que la peur en vous, j’aurais aimé vous traiter avec bonté, vous êtes riche d’esprit, mais il est nécessaire pour vous de renaître sous une autre forme. Comment avez-vous pu tout ce temps vous lever chaque soir l’esprit serein ? Vous ne m’avez rien volé, j’étais déjà morte quand vous m’avez trouvé, la vie que vous m’avez offerte n’est qu’un bonus, ce que vous m’avez montré, cela ne compte plus pour moi, je suis stabilisée depuis si longtemps, si vous avez été puiser ces souvenirs chez moi, c’est qu’ils sont chez vous votre propre source de souffrance, voilà ce que j’en pense, voilà ce que vous m’inspirez, vous me faites honte d’être vampire…». Roland tremblait. « Et si nous allions voir du côté de vos parents cher Roland ? ». Il hurla, le ciel se déchira, il passa à travers le nuage et tomba dans le vide bleu profond, son doigt se décolla du front, il put sentir la fin du mouvement entamé par Lisa quelques secondes plus tôt, la lame glacée lui décapitant la tête et son éternité prendre ainsi fin.

Lisa essuya lentement son épée, profita abondamment du sang quasi divin de sa dernière victime. Ses pouvoirs augmentaient. Le sang lui fit comprendre des choses, les plans de l’île, son fonctionnement, le secret de ses machines. Roland n’était pas mort, pas encore, des copies de son esprit étaient présentes dans les ordinateurs ; il n’attendait qu’un corps d’accueil. Sa plus grande découverte avait été finalement d’étendre encore plus la portée de son immortalité. Prendre le contrôle de cette île, et accepter ce pouvoir, c’était faire perdurer les desseins de son ancien propriétaire, et lui offrir une autre immortalité. Continuer son œuvre, c’était laisser Roland prendre possession de son âme. Il fallait être sage.

Elle désactiva le courant, par la pensée, l’entreprise était éteinte, morte, livrée à la nature, et elle s’en alla au dehors, par une porte illuminée, dérobée, vers le soleil, vers les palmiers, vers le chant des oiseaux, là où la richesse ne réside pas dans le volume des biens, mais dans l’art de s’en contenter.

djimboulélé

  • Chaugnar aspirator
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L'île du Sang « Réponse #1 le: mai 01, 2006, 21:23:30 pm »
J'ai pas tout  lu mais ça à l'air super :)

amnesie

  • Extreme Elvis
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L'île du Sang « Réponse #2 le: mai 01, 2006, 23:22:11 pm »
je n'ai lu que les deux premières parties, mais tu as une vraie aisance avec l'écriture aucun doute, je vais me faire un copier/coller et lire la suite (le fond violet me tue les yeux !!!)

_OZ_

  • Soja Steack Antichrist
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L'île du Sang « Réponse #3 le: mai 03, 2006, 15:16:50 pm »
euh dis Pinpin la marionnette, ta maxime là  :

« Celui qui se dit détaché de tout doit abandonner l’idée même de détachement. Celui qui est attaché à l’idée du détachement ne connaîtra jamais la paix de l’esprit. »

C'est pas du cioran par hasard ? La tentation d'exister ?

cindy cenobyte

  • Velextrut sarcoma
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L'île du Sang « Réponse #4 le: mai 03, 2006, 16:16:40 pm »
Citer
« Celui qui se dit détaché de tout doit abandonner l’idée même de détachement. Celui qui est attaché à l’idée du détachement ne connaîtra jamais la paix de l’esprit. »

C'est pas du cioran par hasard ? La tentation d'exister ?


Moi j' ai lu ça sur des gaufrettes magiques !!
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kaïzasauce

  • Velextrut sarcoma
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L'île du Sang « Réponse #5 le: mai 03, 2006, 16:19:06 pm »
ouah hey Pinpin la marionnette il pompe le texte des gaufrettes  :hummm:




p'tain ca la fout mal...
Apprendre ou a laisser.
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_OZ_

  • Soja Steack Antichrist
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L'île du Sang « Réponse #6 le: mai 04, 2006, 11:46:59 am »
Ben oui c'est bon les gaufrettes

Pinpin la marionnette, l'ai imprimé, et lu.
C'est vraiment pas mal, me suis laissée prendre. Y a de l'idee, et du savoir de la culture de vampires. Quelques invention de ton cru aussi, non ??
C'est quleque fois un peu lourd quand meme, dans le choix des termes, pompeux, mais ca passe malgrè tout.
Tu veux trop placer l'ambiance non ??
 :lame: tres bonnes scenes de combat, descriptions vivantes (pour des morts-vivants...)
mais bravo, on voit que t'es pas un amateur, si tu le propose a arte, eh bien je soutiens et cautionne  smiley14  smiley12  smiley14

Ouallonsnoushein

  • Taboulé Minceur
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Bravo « Réponse #7 le: mai 09, 2006, 07:21:24 am »
J'ai vraiment adoré (je me suis inscrit au forum spécialement pour te répondre). Je  trouve les mots bien choisis et pas pompeux, ca colle au récit.
Merci pour cet agréable moment.

Pinpin la marionnette

  • Invité
L'île du Sang « Réponse #8 le: mai 18, 2006, 08:06:39 am »
La citation vient des préceptes Zen, j'ai samplé ça d'un livre de citations chinoises que je me suis offert à Paris XIIIème  smiley13

_OZ_

  • Soja Steack Antichrist
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L'île du Sang « Réponse #9 le: mai 18, 2006, 10:59:23 am »
Citation de: "Pinpin la marionnette"
La citation vient des préceptes Zen, j'ai samplé ça d'un livre de citations chinoises que je me suis offert à Paris XIIIème  smiley13


ouaich, cioran en parle et cite dans sa tentation

_OZ_

  • Soja Steack Antichrist
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L'île du Sang « Réponse #10 le: mai 18, 2006, 11:09:57 am »
mais c'est clair que le Zen trouve bien sa place entre les blagues carambars