UN LECTEUR DE PORCHERIE DONNE SON AVIS :
"Je viens de lire Porcherie. J'ai beaucoup aimé les correspondances thématiques entre les nouvelles, qui donnent une réelle unité à l'ensemble. Ma soeur est un texte très étonnant, tant sur le plan de la forme, d'ordre poétique, que sur le fond qui m'a saisi par ta transgression du tabou empreinte d'une crudité toute larryclarkienne.
La violence qui traverse ton recueil de façon récurrente pourrait être gratuite, mais elle ne l'est étrangement pas, donnant au contraire une vraie profondeur à ce panorama d'individus borderline.
Enfin il y aurait, par moments, quelques éclats d'humour (noir, bien sûr) qui apportent une touche plus légère à un ensemble relativement sombre, mais à la réelle dimension catharsistique, puisque faisant réfléchir sur tous les processus sous-jacents à cette société devenue usine à fabriquer de l'exclusion."
Porcherie est un recueil de dix nouvelles que je viens de sortir en autoproduction. Disponible sous la forme d'un livret agrafé de 64 pages au format A5, il coûte 4 euros (+1,50 euros de frais de port). Pour se le procurer, il suffit d'envoyer un chèque à Christophe Siébert, 30 rue de la république, 34550 bessan, ou bien de le commander via Paypal en suivant ce lien :
https://www.paypal.com/cgi-bin/webscr?cmd=_s-xclick&hosted_button_id=2A7CB63T7Z45NPour vous faire une idée de son contenu, voici la nouvelle "PSORIASIS" :
Antoine Vandrargues était connecté au Centre de Réception et de Régulation des Appels du SAMU 34. L'écran de son ordinateur diffusait dans la pièce noire une lueur de sortie de secours. L'homme, l'air concentré, suivait l'action du Personnel Assistant de Régulation Médicale. Au fur et à mesure que le dossier s'affichait à l'écran il lisait le nom des appelants, leur numéro de téléphone, leur adresse, l'objet de leur appel.
Vandrargues était âgé de quarante-deux ans et souffrait de psoriasis pustuleux avec des atteintes unguéales, ce qui signifiait que sur sa peau les croûtes jaunâtres dessinaient des chaînes de montagnes vues du ciel et que ses ongles se piquetaient de blanc, se striaient de rouge et se séparaient en feuillets aux extrémités (mais la chose n'arrivait pas souvent car il les rongeait jusqu'au sang). Il était gros, ses dents étaient jaunes, ses yeux injectés. Il occupait seul une ferme à l'abandon. Toutes les pièces sauf sa chambre tombaient en ruine, la poussière couvrait tout, le toit fuyait, la crasse bouchait les vitres. Dans sa chambre plus ou moins habitable il disposait d'un matelas, d'une cartouche de gaz jetable qui lui servait à faire chauffer des plats cuisinés et des pâtes, d'un groupe électrogène à essence à quoi étaient branchés son ordinateur et une
lampe de chevet qu'il utilisait peu. Les détritus s'entassaient dans un coin, principalement boites vides, paquets de pâtes, bouteilles de vin et de whisky, canettes de bière, mégots. Il chiait et pissait dehors. Ses revenus mensuels s'élevaient à huit cent euros, pour moitié le RSA et pour moitié une aide que lui versait sa mère, correspondant à un dédommagement touché depuis l'accident du travail qui provoqua la mort de son mari. Le père d'Antoine Vandrargues avait été grutier, la mère était aide-soignante à la clinique psychiatrique La Pergola, à Béziers ; le fils ne faisait pas grand chose à part manger, pirater le CRRA, sortir se masturber en observant les interventions proches de chez lui, prier chaque soir le petit Jésus de lui redonner la bonne santé et de lui trouver une femme. De temps en temps il allait aux Nuits Rouge, une discothèque située à proximité de la nationale, et dansait dans le but peut-être d'attirer l'attention des filles, n'attirait l'attention de personne mais buvait avec abondance, rentrait, ne mourrait pas sur la route et invoquait presque à l'aube le petit Jésus en utilisant un mouchoir dans quoi il éjaculait depuis des années sans jamais le laver. Trois fois par an (Noël, Fête des mères, Toussaint) il allait à Béziers et rendait visite à sa mère, se recueillait sur la tombe de son père, avait un bref rapport sexuel avec une prostituée.
Le quinze juin à vingt-trois heures Raoul Frissard, le visage hagard et dégoulinant de Côtes-du-Rhône, lança le poing en gueulant «putain de toi». Claire Frissard, le verre vide encore à la main, ne vit rien venir et le reçut en pleine gueule. Elle lâcha le verre, bascula en arrière avec sa chaise, ses doigts se refermèrent sur la toile cirée qui servait de nappe et l’entraînèrent dans la chute. Elle se cassa le crâne contre le coin du meuble à vaisselle, l'ébranla, il y eut un bruit d'assiettes qui s'entrechoquent, tout ce que contenait la table, emporté par la nappe, tomba et se brisa. Le vin, la nourriture, le sang se mélangèrent. Elle resta sans connaissance. Son mari poussa un cri. Il se rua sur le téléphone et composa le 18. Au PARM de garde il expliqua que sa femme venait d'avoir un accident, s'empêtra dans ses phrases, attira l'attention de Vandrargues qui prit sa voiture et se rendit sur les lieux. Il arriva avant le SAMU, cela ne s'était jamais produit. Il observa pendant une minute. Une émotion contracta son visage grêlé de croûtes. Il sourit, découvrant ses dents jaunes. D'un coup d'incisives il prit à sa lèvre inférieure un bout de peau, le mâchonna.
Il sortit de sa voiture et alla sonner à la porte du couple Frissard, qui habitait une maison aussi isolée que la sienne, en meilleur état. Raoul ouvrit. Le véhicule du SAMU se faisait attaquer, à Villeneuve-les-Béziers, par une bande armée de pistolets à grenaille. Vandrargues demanda à voir la blessée.
Claire Frissard n'avait pas bougé. Sa robe à fleur remontait aux genoux. Elle portait des chaussettes en laine. Dans la chute elle avait perdu une pantoufle. Un hématome déformait son visage. Une flaque de sang coagulait sous sa tête. Des coquillettes la recouvraient. Une chipolata avait roulé contre sa hanche. Du vin imbibait sa robe et tâchait son visage. Celui de son mari était redevenu propre.
Elle s'éveilla, tenta de se redresser, cria. Elle vomit en jet une grande quantité de liquide, produisant un fort bruit de gorge. Son regard se perdit. Sa peau vira au gris. Elle retomba inconsciente.
— Aidez-moi, dit Vandrargues, on va l'amener au véhicule de secours.
L'époux Frissard, que l'ébriété et sans doute la panique rendaient stupide, fit comme on lui disait. Ils transportèrent l'agonisante dans la Clio délabrée de l'imposteur. Frissard posa quand même des questions, à quoi Vandrargues répondit qu'il n'y avait pas de temps à perdre et que ses collègues n'allaient pas tarder.
Trois kilomètres au sud la police venait secourir l'ambulance. Un nouveau véhicule avait été assigné à l'intervention chez les Frissard, il se mettait en route.
— Il me faut votre carte vitale, dit Vandrargues.
A peine l'homme tourne les talons, Vandrargues met le contact, démarre, fout le camp.
Arrivé chez lui, il sort la morte de la voiture et la transporte dans sa chambre. Il fouille dans toutes les pièces, trouve une robe et un costume de mariage qui avaient appartenu à ses parents.
Il pose sur une chaise un portrait du petit Jésus. Sur une autre chaise, face à la première, Claire Frissard est assise, plus ou moins. Sa robe pue le moisi. Vandrargues se tient debout dans ses habits trop petits et tâchés. En fond sonore il y a en boucle une version pour boite à rythme et synthétiseur de la marche nuptiale de Mendelssohn.
Ils répondent comme il faut aux questions du petit Jésus, qui les déclare mari et femme. Vandrargues manifeste une grande émotion. Il bat des mains, rie, pleure, se gratte beaucoup. Claire Frissard demeure éteinte. Ensuite, comme dans les films, il porte son épouse dans ses bras et la dépose sur le lit nuptial.
Quelques années plus tard, face à la gendarmerie qui le somme de se rendre à grands coups de mégaphone, il se suicide. Ce qui se passe entre-temps, crimes, déviances diverses, explications psychologiques à la mords-moi-le-nœud, on s’en fout légèrement.