Lowlands (extrait de l'album Alright de Bogdan Raczynski)
Ou comment mettre tout son talent au service d'un morceau. Et un seul. Attention, je ne suis pas en train de dire que Bogdan a eu un trait de génie au côté duquel devrait cohabiter, le reste du temps, la médiocrité la plus ordinaire. Non, Bogdan fait partie de ces grands de la musique électronique. Prolifique, expérimenté, séducteur. Et pourtant. Ce Lowlands n'a pas d'équivalent et ne supporte aucune comparaison. Ni dans toute la discographie du compositeur polonais, ni chez personne d'autre d'ailleurs. Mais j'entends pourtant déjà les objections s'élever. D'aucuns, parmi lesquels sans doute d'irréductible nostalgiques d'atavismes post-yéyé ou autres conservateurs de musées acoustiques, auront beau affirmer que je délire complètement. On en trouvera sans nul doute aussi dans le camp des électro-mélomanes – c'est à dire à priori les plus à même de savoir de quoi je cause - pour tenir discours identique. Mais je maintiens. Ce morceau est une perle inestimable posée dans un écrin de sensibilité.
Après, toutes les querelles de clochers, soutenues des meilleurs arguments du monde, n'enlèveront rien au caractère hautement subjectif que présente toute création musicale à son auditeur. Vous pourrez donc parfaitement échapper au charme de Lowlands, de la même manière que j'y ai succombé.
Mais parlons-en un petit peu. Un voyage techno-mélo-pop, dans lequel le plus beau synthé récupéré du grenier d'Edgar Froese pourrait sembler bien désuet, s'il n'était intégré dans un dispositif résolument futuriste, et si le gimmick leitmotiv et hypnotique qui ouvre le bal ne nous élevait d'emblée dans une ambiance stratosphérique. Puis, rapidement, un pied sourd vient soutenir une mélodie imparablement naïve qui, son petit chemin faisant, nous entraîne dans ce que le lyrisme électronique sait faire de plus pur, un peu à la manière de gouttes d'un élixir divin, de plus en plus fines, allant à la rencontre d'un verre de cristal. Et à chaque fois on tombe dans le piège. Coincés là-haut entre deux gros nuages bien moutonneux, du style cumulus qu'on a envie de croquer, avec pour compagnons un piano céleste et un coeur cadencé à 180 battements par minute. C'est aussi que, l'air de rien, la construction subtile et efficace du morceau fait bigrement bien son boulot en arrière plan. Il y a là dedans un certain génie dans l'arrangement. Pas de virtuosité prétentieuse, pas d'alambic inutile, mais au final des briques en Chamallow roses qui s'emboîtent avec justesse (comment auraient-elles pu s'emboîter autrement et mieux ?), formant ainsi un escalier moelleux et sautillant en colimas-son qui vous fait gentiment tourner la tête, avec, en guise de dernière marche, un accès direct vers les cieux...Ça y est, on y est.
Il ne vous aura pas échappé, je pense, l'omniprésence du champ lexical de l'altitude. C'est bien légitime. Car c'est de là-haut qu'il faut regarder et écouter ces plaines, ces Lowlands. Mais rassurez-vous. L'ivresse aura dès le début pris le pas sur le vertige. Lowlands vous tient par la main et ne vous lâche pas, du décollage à l'atterrissage. Et une fois qu'on a atterri, on se sent comme un gosse sortant d'un tour de manège : heureux et l'envie de recommencer chevillée au corps. Vous imaginez bien qu'en ce qui me concerne, je ne me gêne pas. Et ce comportement de gamin capricieux qui veut s'empiffrer jusqu'à exploser est l'empreinte typique que seuls les grands objets musicaux savent laisser.
Leekid.