Là ton personnage j'ai l'impression qu'il se confronte au monde, à la vie des autres, il se force à le faire, pour ne pas baisser les bras, mais qu'il n'y croit pas. Il ne veut pas y croire. Il y a quelque chose qu'il ne veut pas voir. Alors il s'enferme dans son monde sous clef, où le régulateur de distance avec l'Autre est ses mots.
Bruley disait que l'enfant vie dans la réalité, et fait parfois un pas de côté pour se construire son propre monde, le peuplant de personnages imaginaires en jouant avec sa pensée pour acquérir une liberté suffisante pour mieux se dégager de ses conflits internes opposant les exigences de la réalité aux impératifs du plaisir, le monde n'étant habitable que si sont ménagés ces déplacements. Pour ma part, je continue de faire ces pas de côté, sauf qu'ils ne me font pas marcher dans une conscience fabriquée, ils viennent à l'inverse me faire rencontrer la réalité. Du moins, c'est ce dont j'ai l'impression. Tu vises assez juste en fait, mis à part le fait que les mots ne sont pas qu'un régulateur de distance mais aussi l'expression des deux mondes à la fois. L'expérience réelle se répercute dans l'imaginaire du gosse qui s'en éloigne en prenant certaines libertés. Mon imaginaire se répercute dans mon attitude réelle qui, à défaut d'adopter naturellement le masque qui siet le mieux aux personnes avec qui je parle, prenderait quelques libertés aussi, et en essairait d'autres, juste pour me repaître de leur réaction face à l'inatendu : enfiler le masque de connard autour de gens qui te croient sympa, celui d'intelligent devant des gens qui te prennent pour un con, celui de la grivoiserie devant les autres qui te prennent pour quelqu'un de fin, etc...
J'pense d'ailleurs que je suis pas le seul à être dans ce cas. J'ai l'impression que mon imaginaire est devenu bien plus tangible que le réel, devenu quant à lui qu'une espèce de mascarade généralisée que beaucoup de gens prennent pour argent comptant, et qu'une partie du plaisir dont on en tirerait consisteraient à s'en amuser en détournant volontairement sa propre mascarade (ce qui n'est pas sans danger parfois).
Au final, quand je parlais de la torpeur dont j'avais pas souvent l'occasion de me sortir, c'est surtout parce qu'il existe peu de gens avec lesquels je puisse parler sans être obligé d'enfiler quelconque costume. Et le plus interessant aussi, est de remarquer que ce sont ces gens en question qui, le plus souvent, d'adonnent d'une manière aussi poussée que vous au même double, triple, quadruple jeu que vous avez mis en place, comme si le naturel se trouverait au final qu'en cherchant bien chez les personnes qui se dénaturent continuellement, et non pas chez celles qui ont adopté leur rôle au point de ne jamais en changer quelque soit la circonstance. Peut être ai-je tord aussi, mais vous aurez compris que j'suis quelqu'un qui aime bien pondre des théories foireuses.