1/ Branchitude.
"Être branché" n'est pas seulement une potentialité concrète, c'est aussi un nouveau commandement moral à inscrire sur les tables de la loi. Ce qu'on reproche à celui qui refuse d'être perpétuellement connecté, c'est de faire sa mauvaise tête, d'être ringard, bref, de ne pas accepter d'être un maillon de la méga-machine.
Aujourd'hui se déconnecter, c'est mourir un peu...
2/ Hygiénisme.
Des ordinateurs blancs, des zones transparentes, des lignes et des courbes épurées, les gadgets technologiques qui nous envahissent se veulent zen, immaculés, diaphanes. Plus de fil, des téléphones et bientôt des ordinateurs à écran tactile pour éviter de se salir les mains et d'entrer en contact avec les aspérités du clavier. Cette obsession de la pureté traduit une hygiénisation croissante de la société. On se connecte quand on veut et à qui on veut, mais protégé du monde extérieur et de ses dangers. La relation humaine devient elle même suspect, porteuse de germes du conflit et de salissures. Les petits problèmes de son immeuble, de son quartier, sont ignorés. Il a des amis sur toute la planète mais ne dit pas bonjour à sont voisin.
3/ Ubiquité.
La wifisation du monde permet d'être partout connecté et nulle part présent. Regardez ces zombies qui parcourent leurs vies un casque sur la tête, regardez ces chimères qui hantent les trains un ordinateur portable sans cesse allumé, regardez ces deux personnes qui se parlent tout en tapotant chacune sur le clavier de leur portable... Être ici et ailleurs. Partout et nulle part.
4/ Impatience.
Internet rend chronophage et chonodépendant. Il dévore notre budget temps à une vitesse inhumaine. La technologie modifie toujours notre perception du temps. Avec internet, ca ne va d'ailleurs jamais assez vite. Nous voilà incapable d'attendre que notre correspondant soit sortit des toilettes ou du métro. Je lui ai écrit il y a dix minutes et il ne m'a pas encore répondu: innacceptable! L'homo numericus croit gagner du temps avec internet... Pourtant tout le monde vit à un rythme délirant, constamment préssé, débordé, à bout de souffle... Nous dormons 90 minutes de moins qu'il ya cinquante ans et le temps de repos, de flânerie, de méditation et avec les autres se réduisent continuellement. Internet, c'est un pas de géant vers une nouvelle accélération de la société. On sait cependant que lorsque certains accélèrent, c'est toujours au détriment des autres.
5/ Nouveauté permanente.
La nouveauté d'aujourd'hui remplace celle d'hier, taxée alors du summum de la ringardise. Le haut débit remplacé par le très haut débit, la haute définition par la super haute définition, les méga octets par les giga octets, etc. La modernité implique le mouvement permanent, l'instabilité et la précarité. Comme le dit le héraut des temps modernes Jacques Séguéla : " Dans un monde qui bouge, l'immobilisme est un désordre." (le monde, 17-2-2004).
6/ Santé en danger.
Le BioInitiative Working Group a publié un rapport d'études de 600 pages prouvant les dangers des émissions "type téléphonie mobile", qui concerne donc tout autant les téléphones portables, les antennes, les relais GSM que les ondes wifi. Ces champs et ondes électromagnétiques ont en effet des conséquences sur les gènes et l'expression des protéïnes, sur le développement de certains cancers, notamment du sein, sur le développement de la maladie d'Alzheimer ; ils ont aussi des effets négatifs sur les protéïnes du stress, sur la fonction immunitaire, sur la neurobiologie, sur le fonctionnement du système nerveux et donc le comportement.
7/ Néo-colonialisme.
L'uniformisation du monde passe par sa technologisation. Un des buts du colonialisme était de civiliser les sauvages, aujourd'hui il faut les brancher sur le Net. L'objectif brandi est de "réduire la fracture numérique" entre le Nord et le Sud. Les nouveaux philantropes créent des ateliers vidéo au coeur de l'Amazonie, des associations connectent l'Afrique à internet avec des ordinateurs à moins de cent dollars... Connecter tous les peuples devient le grand défi du XXIème siècle. Pour leur bien évidemment, comme les colons "éduquaient" les indigènes, et les pêres missionnaires convertissaient les indiens...
8/ Concurrence.
La mise en réseau et le temps réel démultiplient les possibilités de mettre en concurrence les individus et les entreprises. Une centrale d'achat de grande surface peut lancer une enchère pour trois tonnes de tomates et choisit l'agriculteur le plus performant à une vitesse fulgurante. Dans certains pays, des employeurs proposent sur des sites des taches à effectuer et les postulants cassent les prix pour être sélectionnés... Le rêve libéral se réalise.
L'un des grands enjeux du plan "France numérique 2012" est aussi de faire exploser le commerce virtuel. L'économie numérique est en effet le secteur le plus dynamique de l'économie mondiale. Tout s'y renouvelle à une vitesse folle, il faut être à l'affût de toute les nouvelles tendances, chercher les bonnes affaires, participer à des enchères, se noyer dans la Toile comme un acheteur compulsif le ferait dans un centre commercial.
9/ Flicage et transparence.
Rien d'étonnant à ce qu'Eric Besson parle de "droit opposable à un accès à l'internet haut débit inférieur à 35 euros" (Les Echos, 20-10-2008) pendant que le gouvernement ferme les hôpitaux et les tribunaux de proximité. Car si la machine technico-politique supporte trés bien que l'individu ne soit pas en mesure de faire appel à elle en cas de besoin, cette même machine tolère de moins en moins de ne pas pouvoir, elle, vous identifier, vous localiser, vous surveiller, vous influencer, vous décrypter, vous analyser. Le rapport "France numérique 2012" d'octobre 2008 annonce "la généralisation d'outils d'authentification électronique, à l'instar de la carte nationale d'indentité électronique pour chaque citoyen à partir de 2009", avec comme objectif "100% de citoyens titulaires".
10/ Connaissances.
Avant les gens ne savaient rien. Nos grands-parents : des incultes! La transmission orale, la lecture, les discussions, les bibliothèques, l'école, l'éducation populaire? Des fadaises! Grâce à Wikipédia et au Web, on peut tout savoir sur tout, en un clic. "La plus grande encyclopédie du monde", "avoir une bibliothèque dans sa poche"... La confusion entre possibilités d'accès et acquisition des connaissances est le plus formidable tour de passe-passe de la propagande numérique. Le monde qu'elle crée rend obsolète l'idée même de pensée car se cultiver demande de l'attention, du temps et une démarche, voire des efforts. Aprés le body-building pour muscler nos corps inertes, vint le brain-building pour nos cerveaux qui ne réfléchissent plus et notre mémoire atrophiée.
11/ Internet, ennemi des familles.
Internet conduit papa, maman et les enfants à s'isoler les uns des autres. Même le journal de la CAF, "Vies de famille", de février 2009 est obligé d'en convenir : "Les écrans deviennent nocifs quand ils morcellent la famille parce que chacun reste tête à tête avec sa télé ou son ordinateur." La wification des domiciles est l'étape supérieure : elle permet à chacun de se déconnecté de la vie familiale dans tout les coins (et petits coins) de la maison. Ouvert sur le monde, peut être, mais d'abord fermé sur les siens.
12/ Fausse gratuité et publicité.
Etendart des nouvelles technologies, leur gratuité est un leurre. Les recherches sur Google sont intégralement financées par le marché publicitaire, comme la plupart des sites professionnels. A mesure que se développe l'idéologie de cette fausse gratuité, les ménages dépensent de plus en plus d'argent dans la communication! Il faut renouveler dans des cycles de plus en plus courts son matériel, acheter de nouveaux gadgets pour chaque membre de la famille, payer ses multiples abonnements..
Extrait de La Décroissance, Avril 2009