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« le: avril 23, 2006, 18:41:55 pm »
HISTOIRE de la Grande Désertification
Les grandes fusées déployaient des langues d’explosions lumineuses et encore percerceptibles lorsqu’on fermait les yeux, tous les jours, se dépersonnalisant dans l’immensité.
Et puis l’air redevenait sombre pendant un moment. C’était d’un bleu indescriptible, un bleu manège, un bleu bijou de princesse.
Il y avait comme un attachement romantique, le soir, de la part des gens dans les villes, depuis leurs balcons à exercer de lents coup d’oeil vers le fond de l’atmosphère et à percer le ciel qui se tachait des restes fumants, des trainées blondes, que ces machines de la Motorfuck n’avaient rien à faire d’oublier derrière elles.
Depuis les longues voitures de départ du train fixe pendu à son armature d’acier blanc, des grappes d’humains attendaient pour partir, trouvant idiot qu’il faille absolument s’agglutiner dans les wagons pour accéder ensuites aux zones de lancement des fusées qui avaient été montées sur la trajectoire de l’anneau.
Mais le courage qu’ils avaient de bien vouloir quitter la terre en masse, ces hommes, ces femmes, leurs enfants, tout ce courage leur donnait presqu’un air charmant dans l’inquiétude historique qu’ils exprimaient, de se rapprocher un peu plus de l’infini.
On se rapellait d’autres moment, comme ça dans l’histoire de l’humanité, où les gens avaient dû partir, aussi.
Oui, les gens sont toujours partis, de grès ou de force !
Ceux-là s’achemineront dans des stations satellites, sûrement, dans un premier temps et puis, petit à petit, iront sur Mars, sur Orion ou ailleurs. Ils oublieront les choses uniques, les sensations terrestres, la vie, peut-être qui sera remplacée par une molécule qu’ils absorberont tous les matins et qui leur donnera la possibilité de profiter un peu plus longtemps de cette vue splendide qu’il y a depuis l’espace, mais sans vraiment se faire d’illusion sur les rares possibilités qu’ils auront de pouvoir un jour refouler le sol terrestre.
Le train fixe, c’était quelquechose. Une rampe qui formait comme un anneau autour de la Terre. Un anneau qui avait été construit au dessus du niveau de l’atmosphère par la Motorfuck . Rien à faire. Pour le monde entier ça avait été du tonerre et tout le monde avait voulu y aller, même pour rien, seulement pour faire le tour du monde en quelques heures. Tu parles, c’était vraiment qu’un gadjet, mais on pouvait descendre pratiquement partout où passait l’anneau selon son mouvement naturel, même en mer où des îles de loisirs avaient poussé comme des champignons marins.
Les avions étaient devenus de jolis petits jouets accessibles, comme avaient pu l’être, il y a longtemps, les mobylettes et les scooters pour tout môme de province ou de banlieue. Ils avaient fait du ciel un tissus dont la trame aux fils blancs ou dorés (si le soir tombait) dansait au rythme des courants aériens, sans avoir jamais le temps de s’estomper .
Jusqu’au jour où chacun s’était mis à vouloir partir à cause des «allers-offerts». Ils en offraient à la pelle, bizarrement, personne ne s’est demandé pourquoi, mais à mon avis c’était pas pour sauver l’humanité d’une catastrophe d’origine terrestre. On fait jamais ça si on n’y trouve pas son compte quelque part. Qu’avaient-ils fait dans l’espace qui leur donnait tout d’un coup l’envie d’y accueillir du monde par milliards ?
Les avions se sont fait rares en quelques années, chacun finissant par les abandonner aux entrées des aires aérospatiales amménagées en vitesse. Et les larges autoroutes empruntées par des milliards de tonnes de voitures ont commencé à se vider doucement après avoir subi pendant des temps incalculables des embouteillages hors du commun dont les médias avaient fini par faire leur unique sujet d’information... Médias qui s’endormaient petit à petit devant tant de modernité! Alors eux, on aurait pu dire que c’était devenu une petite corporation bien gentille que les gens qui possédaient encore le câble avaient la politesse d’entretenir un peu comme on entretient son poisson rouge... sans vraiment trop savoir pourquoi, parce que c’est grâcieux, et encore. ....Non, l’information s’était fait bouffer, un point c’est tout, les journalistes s’étaient tous recyclés en critiques de papiers peint animés, on en avait eu marre, il n’y avait plus rien à dire, même eux s’en foutaient grave, c’était devenu un boulot de merde et il fallait partir, comme tout le monde.
D’ailleurs plus rien ne se passait sans que la Motherfuck soit là. C’est elle qui diffusait ce qu’il y avait à diffuser. Et quand ils ont dit qu’ils offraient à toute l’humanité, « un aller gratuit dans l’espace de votre choix », ça a été la folie... J’imaginais les journalistes sur le déclin en train d’essayer de faire une rubrique sur l’évènement, je les imaginais se faire rouler dessus par une foule qui n’en avait plus rien à foutre de passer à la télé ! « Mais poussez-vous, putain, vous voyez pas que vous gênez tout le monde avec votre truc complètement archaïque, là ? » La pauvre stagiaire, qui faisait ça par passion, comme on pouvait encore faire, par exemple, de la peinture par passion y a cent ans de ça...Ils lui parlaient comme on aurait dit à un peintre d’arrêter de faire chier avec ses croûtes minables, même s’il n’avait eu que la rue pour s’exprimer.
Ce coup-là , la Motherfuck, elle a fait fort !
La Motherfuck : branche mère de la Motorfuck (branche scientifique) et de la Fuckdown (branche néo-politique).
Au départ du projet «Mother», il y avait un groupe de très vieilles dames, « les 8 dames blanches », nommées ainsi à cause de leur peau limpides et de leurs bonnes intentions. On dit que leurs fils, pour les déstabiliser avaient fait courir le bruit qu’elles étaient lesbiennes. Mais le pire, c’est qu’ils les avaient traitées de féministes, ce qu’on n’osait plus faire à l’époque parce que ç’était devenu une sorte d’insulte de classe et que ça avait le don de réveiller les esprits suspicieux des différentes gentes masculines qui ne voient pas le monde autrement que monté à leur sauce, alors tout le monde s’était ligué contre elles... de cette manière ou d’une autre, les fils rebelles avaient fait vaciller la flamme qui s’était attendrie au contact de leurs mères et le flambeau, subitement avait changé de mains, telle était la légende des vieilles dames très charitables et cultivées, qui avaient voulu faire du monde un grand jardin.
Mais si tout le monde se barre aujourd’hui ça risque d’arriver enfin...
Et puis le groupe avait capoté, elles étaient quasiment toutes mortes et leurs fils rebelles avaient fini par faire du monde, eux, un univers d’argent, de bière, de sexe et de technologie. «Motherfuck» c’était un cri de jeunesse et c’était resté, vissé au vocabulaire courant .
Le monde fonctionne comme ça depuis. Sous la chappe d’une entité simple et efficace, menée par des scientifiques qui se fichent pas mal du qu’en dira-t-on.
Oui, la Motherfuck se contente de poser son nez partout, pour exprimer les joies que lui procure son règne de grosse fifille pourrie gatée. Oui, voilà ce que c’est à peu près, la Motherfuck. A peu de chose près. Les détails, on s’en fout, maintenant que les médias dorment. On la sent, comme une grosse chatte, et vous pourriez demander aux gens dans la rue, ce qu’ils en pensent, ils la sentent comme ça, comme un étrange animal de compagnie dont personne ne se rend vraiment compte qu’il manipule gentiment votre vie.
Mais à la Motorfuck, par contre, personne ne s’est jamais laissé allé à autre chose qu’à la grande conquête de l’univers, ce qui somme toute est un combat bien peu original, puisque l’humanité ne fait que ça, entre deux guerres, depuis la nuit des temps, non, non, cette civilisation n’a rien d’exceptionnel... Et la Motorfuck fût la première des entités gouvernementales à s’implanter dans l’espace, où elle attendait que la terre entière la rejoigne pour s’exprimer pleinement.
D’ailleurs, pendant ce temps là, personne n’avait l’air de vouloir revenir du ciel...Les fusées partaient et ne revenaient pas.
La Fuckdown, cette branche néo-politique de la Motherfuck, avait décidé d’adapter ses idées au modernisme du temps et s’était préparée comme tout le monde à quitter ses bureaux rectangulaires vers de plus spacieuses contrées, en ne laissant plus sur Terre qu’une vague annexe reléguée à l’arbitraire d’une petite ligue réactionnaire dont les vieilles idées, avaient plus ou moins fusionné avec les convictions des Dames blanches quand celles-ci étaient au pouvoir. Mais la ligue des Dames tout le monde s’en fichait. Ils auraient pu vouloir quoique ce soit, ça faisait longtemps que la politique n’avait plus d’influence sur le cours des choses, et cela remontait au temps de la triste légende. C’est à peine si l’on remarquait les mouvements nocturne d’un groupe de jeunes activiste qui distribuait des cartes postales à l’éphigie de chacune des vieilles dames pour rappeler à la mémoire de l’humanité les bonnes intentions qu’elles avaient eues.
Parce que la politique, c’était de ne pas en faire justement, histoire de calmer les esprits. Esprits qui avaient eu l’audace, pendant une courte période, d’assassiner tout ce qui se prétendait du milieu.
La police n’avait rien pu faire, parce qu’un sympathique gredin avait pourri ses systèmes d’écoute déjà plus très fiables. Et puis ils s’en fichaient, ça faisait dix-sept ans qu’ils faisaient grève, tu crois qu’ils allaient défendre des types qui n’avaient pas envie d’améliorer leur condition de pauvres mecs à la déroute ? Non, vraiment, je ne sais pas si c’est la chaleur, mais tout ce qu’ils voulaient c’est qu’on leur fiche la paix... Ils avaient commencé à jouer aux cartes et comme tout le monde, ils étaient allé retirer leurs billets pour l’espace.
C’est un peu à la suite de cela que les médias avaient entamés leur chute irresistible, plus de police, plus de voleurs, plus de voleurs, plus de crime, plus de crime, plus rien à dire. C’est idiot, tout ça, mais c’est bêtement comme ça que ça s’est passé. Pendant un temps, on retransmettait les mouvements de population qui s’organisaient pour atteindre les stations de l’Anneau et puis comme tout le monde partait, plus de télé...
L’herbe repoussait miraculeusement dans les villes. Les véhicules abandonnés se couvraient d’une mousse luisante...Par-ci par là on entendait parler d’un magazin à l’abandon, alors les provisions fraîches n’avaient même pas le temps de pourrir puisqu’on allait gentiment le vider. Tout se passait étrangement bien.
Un jour, on apprend par bouche à oreille que la Motherfuck est partie rejoindre ses branches filles, loin dans l’espace, où une autre humanité était en train de se développer. Ils avaient réussi à dénicher un nouveau carburant, là-bas. Le carburant, c’est tout ce que la Motherfuck ne possédait pas sur terre, alors ils avaient trouvé le moyen de rameuter toute la clientèle...Aujourd’hui, le monde du pétrole, n’est plus que l’ombre de lui même. Et encore, c’est peu dire... Les familles qui vivaient grassement de l’argent fourni par ce commerce lucratif et malsain, n’avaient pas supporté cette chute. Les derniers groupes de gens qui peuplèrent la terre étaient composé de ceux qui n’aiment pas le pétrole et de ceux qui en avaient largement profité depuis qu’on avait appris à s’en servir.
Ces derniers-là, étant devenus très riches, avaient fini par vivre dans une certaine autarcie au milieu d’une misère qu’ils arrivaient parfaitement à ignorer. Misère que ceux qui n’utilisaient pas de pétrole tentaient de fuire en faisant fi des richesses vomies dans les villes.
Ceux-là furent vraiment les derniers. Depuis longtemps, ils tentaient de perpétuer un mouvement, qui ne s’amplifiait plus mais qui durait. C’était un geste. Le geste auguste du semeur.
On les avait appelés les gens du Geste. Ils finirent par refonder quelques corporations, par solidarité pour ceux qui, prodigues, revenaient vers eux et leurs anciennes coutumes, leur rendant grâce et faisant pitié d’être ignorant de tout savoir vivre en l’absence de société.
Mais qui étaient ces pitoyables rescapés de l’Offre ? Quelques groupes de bourgeois vaguement honnètes et vieillissant que leurs chauffeurs avaient abandonnés sur la route en allant vers l’Anneau, et que personne n’avait voulu prendre en stop. On en avait vu errer quelques-uns, dont chacun se disait qu’ils avaient subi le même sort... Ce fut l’épisode de la Malédiction du chauffeur. Un paquet de gens assez fortunés et dont on enviait, dans les grandes villes, les coquets appartements, s’étaient faits larguer par leur chauffeur. Oui, des gens racontaient ça en riant, vers la fin, disant que leurs bonnes manières les avaient privés d’informations et d’imagination... Mais c’est vrai que même Paris-Berlin à pied, c’est très long.... Plus d’un mois si l’on est en bonne condition physique. Et ces petits bourgeois n’avaient pas trouvé mieux que d’errer, au lieu se trouver une voiture ou un avion abandonnés. Certains, déséspérés d’avoir pour unique science la capacité d’administrer l’équipe comptable d’un aéroport, s’étaient vus d’un coup devoir repenser leur avenir...Mais personne ne leur en a voulu, alors s’ils avaient décidé de rester, on mit à profit leur gentillesse et il pouvaient finalement gérer les nouvelles exploitations agricoles en filant un coup de main.
Certains groupes, surtout ceux des gens du Geste, s’étaient vraiment arrangés pour que tout le monde s’en aille. Quand fut venu le temps où les billets avaient tous été échangés pour des places dans l’Au-delà spatial, les gens du Geste allèrent fouiller dans les poubelles pour voir s’il n’en restaient pas quelques-uns. Et quand ils en trouvaient, ce qui fut souvent le cas, parce qu’en ville tout le monde n’avait pas voulu suivre le mouvement du premier coup, ils les redistribuaient gratuitement. La demande était encore forte et la masse de billets restant qui avaient été retrouvée s’allégea jusqu’à épuisement du stock.
La dernière à partir fut une très vieille dame aveugle qu’accompagnait un chien. Les stations du grand départ se vidèrent, tout le personnel ayant quitté la Terre avec la vieille dame.
Et sur Terre il ne resta plus que 190000 personnes.
Certains étaient fiers de se reconnaître sous la bannière des Gens du Geste. Et au milieu d’une plaine parfois , on pouvait voir onduler l’étendard fait de chiffons colorés qui signifiait qu’ici, vivaient ces gens-là. Quand on était perdu et qu’on ne savait pas comment survivre dans ce silence, on pouvait les rejoindre et travailler avec eux, si on avait la chance de les croiser sur sa route. Sinon, on pouvait faire son chemin seul, errer, trouver de quoi survivre parmis les poubelles de l’humanité qui n’avaient pas été pillées, croiser quelques villes, où l’on se protégeait du froid et de la faim.
Parfois tout fonctionnait encore. Les lampadaires s’allumaient à heures fixe, sans que personne n’aie besoin d’être là. Les escalators, certains trains et autres tramways, tout était là, en potentiel état de marche, en veille. On pouvait traverser une ville entière grande comme Paris sans croiser âme qui vive et entendre circuler certains métro en boucle, un hall d’ascenseur en activité où tintait une mélodie, un transistor de voiture diffusant encore le crépitement radio d’une émission désertée .
La terre était devenue silencieuse, malgrès cette activité fantômatique. Et l’homme soufflait, doucement sur son travail. Il regardait sa vie pousser. Graines de toutes sortes recueillies après de longs voyages à l’heure où la Terre était surpeuplée. Eux, c’est vrai qu’ils avaient voulu rester... Ils avaient attendu que tout le monde parte pour ranger. Remettre le jardin à flot. Se reprotéger des bêtes sauvages qui reprendraient du terrain. Redouter l’hiver. Vénérer le cheval, la vache, la chèvre, le mouton, plus au sud le chameau, plus en altitude le lama.
Refaire du feu, recouper du bois, refaire pousser le blé pour la farine, pour le pain. Se laver à l’eau froide. Utiliser les machines tout en sachant qu’elles risquaient un jour de lâcher, même si parmis eux vivaient de bons mécaniciens. Tant mieux si l’éléctricité marchait encore, tant pis le jour où il n’y en aurait plus, peut-être irait-on parcourir le monde à la recherche de quelqu’un qui savait la faire revenir. Peut-être ne trouverait-on qu’un livre pour tout recommencer. Un livre qu’on fermerait quand il commencerait à faire nuit et en guise de marque page, la photo d’une très vieille dame aveugle accompagnée d’un chien...