(gravure : jean-marc renault - jmr02.blogspot.com)
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34 : 33
La maison était en bordure du centre-ville. Ma grand-mère habitait un pavillon de ville de trois étages et une cave. Le rez-de-chaussée était occupé par l’entrée, le salon, le séjour et la cuisine, le premier étage par sa chambre, la salle de bain et les toilettes, et le deuxième étage par deux pièces dépourvues de fenêtre, l’une servait de buanderie, et l’autre est devenue ma chambre. Elle n’utilisait pas la cave. Pour le reste, je me souviens juste de quelques détails. Le grincement du parquet et les pantoufles, que je devais mettre dès que j’entrais. La moquette qui recouvrait le téléphone. La sonnerie à l’ancienne. Les crêpes. Elles étaient bonnes mais je n’en avais rien à foutre, des crêpes. Ma grand-mère debout à l’aube, tous les jours. La télé, en perpétuel fond sonore. Les vieux disques qu’elle n’écoutait jamais. Les odeurs de renfermé et de produit pour les sols.
Je dormais dans une sorte de débarras, une pièce un peu à l’écart, sans fenêtre, encombrés de morceaux de meubles démontés, des planches, des attaches, des vis. Je me rappelleune porte d’armoire à glace Je me regardais souvent dans le miroir piqué. Au-dessus de mon lit, il y avait un tableau représentant le visage du Christ. Les couleurs étaient pales, et couvertes d’un vernis brillant. Je pouvais me regarder dedans également. Mon visage faisait presque la même taille que celle du Christ. Le papier peint était moisi. Le plafond était auréolé de tâches d’humidité. Chaque nuit, les draps devenaient poisseux et collants. Le matin, tout était moite et gelé. Il n’y avait pas de radiateur. Je dormais habillé.
Le reste de la maison, c’était coquet et étouffant. De la tapisserie partout, même sur les portes. Des couleurs passées, jaune pisse, marron clair. Des fleurs compliquées qui s’enchevêtraient. Sauf la cuisine, carrelée de blanc, et la salle de bain, carrelée aussi, d’une mosaïque bleue et blanche en arabesques. Des ampoules de quarante watts dans toutes les pièces, masquées par des abat-jour épais. Partout, la pénombre.
35 : 32
Je ne quittais la maison que pour aller au collège ou pour aller faire les courses. Ma grand-mère, elle, ne sortait jamais. Et personne ne venait jamais la voir. Elle passait ses journées dans sa chambre, à pleurer et à regarder la télé. J’entendais ça en permanence, ce bruit de fond. Ma grand-mère qui pleurait. Ma mère me manquait. Le sexe me manquait, avec elle. Je ne baisais plus. Ca me manquait, comme une drogue. Je me masturbais continuellement. Je ne fantasmais pas tout le temps. Je me masturbais, juste, pour éjaculer et me sentir un peu mieux. Mais je ne me sentais pas mieux. Mon stress diminuait légèrement, rien de plus. Je lisais des bouquins sur les loups. Ma grand-mère avait des bouquins sur les chiens et les loups, le genre de bouquin qu’on offre quand on ne sait pas quoi offrir. Des couvertures moches, des têtes d’animaux aux aguets, en gros plan, des titres écrits en jaune. J’étais fasciné, j’apprenais ça par cœur.
C’était moi qui faisais les courses, le ménage, la cuisine, tout. Ma vie se résumait facilement. J’allais à l’école, je rentrais, je faisais mes devoirs, je ressortais faire des courses, je faisais à manger (de la soupe en sachet, des pâtes ou des conserves), je passais l’aspirateur, je faisais la vaisselle ; le samedi je passais la serpillière et je faisais les vitres ; le reste du temps je lisais les bouquins sur les loups et je me branlais comme un fou. En fond sonore : les gémissements de ma grand-mère, et les émissions débiles de la télé.
Elle ne me parlait jamais, sauf pour me donner des ordres, ou pour se plaindre de sa vie, qui a été un long chemin de croix.
Je n’étais pas heureux. Je repensais à ma mère, je repensais à la forêt, au sanctuaire qui était loin, qui était dans une autre ville. Je pensais aux loups. Que j’étais l’un d’eux. Je pensais aux proies. Je ne dormais presque pas. J’étais crevé.
36 : 31
Ma grand-mère chialait tout le temps. Elle me parlait de ma mère, qui était une pute, de sa mère à elle, qui était une salope, elle me parlait de son mari, qui était mort, qui était une pourriture, elle me parlait de moi, qui était une merde, et elle pleurait. Elle pleurait tout le temps, tout le temps. Elle me parlait de son chat, qu’elle aimait même s’il chiait partout, et qui était mort. Elle pleurait. Son père, qui la battait. Son grand-père, qui l’a dépucelée quand elle avait douze ans et lui, cinquante. Il la battait à coups de ceinturons. Ses fugues. Son mari, qui buvait et qui la frappait. Ma mère, qui baisait avec tous les mecs qu’elle croisait, dès l’âge de treize ans. Des avortements. Un accouchement sous X. Elle ne parlait que de ça, elle ne racontait que ce genre d’histoire, pendant les repas, pendant que je faisais le ménage, tout le temps et le reste du temps, télé. Elle dormait encore moins que moi. Je m’endormais avec les voix de la télé en sourdine. Je me réveillais avec.
Les livres. Je les apprenais par cœur. Les premières rêveries. Je suis un loup, je tranche la gorge de mes proies, elles jouissent de se savoir tuées par moi. Je plante mes crocs dans le cou de Virginie. Je plante mes crocs dans son cou et j’enfile ma queue au fond de son cul. Elle mouille du cul. Elle inonde mes crocs de sang. Elle jouit. Elle bouge pour mieux accueillir ma morsure et ma bite. J’éjacule quand elle meurt. Des pensées comme ça. Mais la plupart du temps, rien. Juste un mouvement mécanique, pour me sentir un peu mieux après, mais pas tellement. Juste un peu plus apaisé, un peu plus abruti. Les pleurs, les plaintes, les histoires horribles, la télé, les corvées semblent un peu moins pesantes, un peu plus loin, quand je me branle. Je me regarde la bite. Je me regarde jouir. J’ai le cerveau vide.