La Vérité sur Le monde. Pseudo-Série pseudo-hebdommadaire en 12 épisodes.
Lundi 5 mars 1995.
Episode 3.
Titre de l'épisode : Déstabilisation
Thème de l'épisode : L'amitié intemporelle
Séquence 15
Je prends le petit déjeuner avec Coach, en arrière plan, un jeu télé du temps de midi. Coach est habillé dans un polo moulant signé Narsico Rodriguez et un vulgaire training kappa, un sifflet pendu au cou, il est mal coiffé, et sa barbe semble avoir été générée aléatoirement. Je suis vêtu de mon traditionnel peignoir Galliano, un peu vétuste, mais toujours furieusement élégant, et de mes pantoufles Valentino. Je lui parle de mon œuvre, de mon avancement misérable de ces dernières semaines. « Il faut trouver une solution pour la suite de la série, on ne peut pas miser sur le cul tout le long, et puis, avec l’orgie de la semaine dernière, je crois qu’on est vraiment allé au bout de la question, le public obsédé sera ravi… mais il faut autre chose...». Coach a la tête plongée dans son bol de Choco Pops, il se redresse lentement en marmonnant, le lait se délivrant de ses narines : « Je pense qu’il est temps de faire intervenir les forces du Mal…». Il a raison le bon bougre, l’enflure, il faut passer à la vitesse supérieure maintenant. Je me prépare une biscotte au miel en pensant à la phrase pleine d'intelligence et de sagesse qu'il vient de prononcer.
Il y avait du progrès dans l'hygiène ces derniers temps. On avait rangé un peu l’appartement, on avait enfermé Cynthia dans la cave, on avait taillé une petite porte pou faire glisser un peu de nourriture ; Coach allait nettoyer ses excréments tous les dimanche. On avait pas encore pensé à lui changer ses vêtements. Ma fille descend de l’étage accompagnée de l’actrice qui joue son rôle, elle a un sujet sérieux à aborder. Le son de télé s'évanouit en un fade out subtil. « Papa, pourquoi m’as-tu appris les mathématiques, la musique, plusieurs langues, si c’est pour me placer dans une institution de couture ? ». Mon sourire de bienvenue disparait brusquement. « Ecoute chérie, quand maman était encore de ce monde, j’étais vraiment motivé par ton éducation, c’était bon pour l’équilibre du couple. Depuis que maman est morte, je n’ai plus la tête à ça. Et puis, la culture est superflue quand on a un père célèbre, ne t’inquiètes pas, ton avenir est assuré… ».
« Maman n’est pas morte. »
« Tu écriras des livres comme papa, tu seras aimée, regarde le coach, il gagne plein d’argent et il a pas fait d’étude pourtant, pas vrai coach ? ». Coach acquiesce avec un petit sourire en coin.
« Maman n’est pas morte, elle est dans la cave. »
Je lui ordonne de monter dans sa chambre à cette petite garce. Elle s’exécute, je prends ma tête entre mes mains. La vie de père me rendait fou, j'ai besoin d'un fix, là, maintenant.
« C’est trop dur d’élever des enfants Coach… »
Coach, la mine grave, me sert un bourbon et me console immédiatement :
« Les enfants grandissent, ta fille va bientôt avoir 12 ans, elle se pose des questions, c’est normal, bientôt elle va partir tenter l’aventure, ailleurs, elle a le droit aussi de ne pas suivre la voie de son père, elle a droit de se lancer dans la vie sans toi, tu ne peux pas diriger sa vie à son insu...»
Coach est vraiment un grand homme, plein de bon sens. Il passe un coup de fil à son fils trisomique qu'on a placé dans une institution, pour éviter que je le frappe ; toute forme de promiscuité avec cet être dénégéré et inutile provoquait chez moi des spasmes violents, Coach avait dû se résoudre à ne plus l'emmener avec lui.
Séquence 16
On devait introduire les forces du mal, j’ai commencé à plancher sur un nouveau personnage d’épouvante. Je pouvais écrire n'importe comment, de toute façon, j'étais célèbre. Je suis remonté dans mes souvenirs d’adolescence, dans mon école secondaire, il y avait un éducateur, un pion, insignifiant, habillé tout en noir, avec de longs cheveux sombres et gras, la mine ravagée par l’alcool ; il est mort et, deux jours après, personne n’en parlait plus. Sa mort fut aussi discrète que sa vie. Il n’existait pas. Son histoire et son nom étaient inconnus de tous, il errait dans l’école comme un fantôme, dans sa veste usée de vieux motard, le regard éternellement épuisé par la vie. J’étais adolescent, et je me foutais de ce type qui inspirait tout ce que j’étais sûr de ne pas devenir : un alcoolique puant, célibataire, qui n’avait trouvé qu’un ridicule job dans une école perdue dans une région économiquement malade. Parfois, il tenait « l’étude », endroit où étaient tassés les élèves qui n’avaient pas cours, pour cause de prof absent, de retenue, d’heure de battement dans l’horaire. Son autorité était fantomatique, ses injonctions, sensées interpeller la foule et imposer le silence, se perdaient dans l’air, se faisaient absorber, sans conviction, par les murs qui semblaient le fuir. Le pion, dans l’école, n’avait de toute façon aucune force coercitive. L’obéissance qu’on lui accordait ne fluctuait que selon l’humeur du groupe. La seule punition possible était une note dans le journal de classe, une retenue au pire. Dans le bulletin, des points étaient accordés à la « conduite en classe », cette cote n’avait aucune importance. Le fantôme noir m’avait surpris en train de parler, je me foutais sans doute de sa gueule et des vibrations cosmiques de moquerie avait sans doute atteint ses tympans, par une mauvaise combinaison stochastique de répercutions du signal sonore dans la pièce. Il avait pris mon journal de classe. A la fin de l’étude, il me l’a rendu, il avait indiqué une ligne, à la mauvaise date en plus. Une ligne rouge. Une ligne tremblante et rouge, une ligne fatiguée, qui n’avait aucun sens. C’était deux semaines avant sa mort. Avec quelques potes, on lui avait donné un nom : il était The Vampire, à prononcer avec un accent américain difforme : Zssse VannePaïre. Le caméraman zoome vers mes mains. Il était temps de lui écrire une vie.
Séquence 17
The Vampire pouvait vivre le jour, contrairement aux autres vampires. C’était grâce à l’alcoolisme. Après avoir bu du sang d’alcoolique, The Vampire, enfant, a pu bénéficier de pouvoirs inédits grâce à sa configuration génétique qui laisse, bientôt 10 ans après sa mort, perplexe les plus brillants des scientifiques contemporains. Il pouvait vivre le jour mais il était devenu dépressif, en échange, en plus du manque de sang, il était perpétuellement en manque d’alcool. Après avoir été éjecté de plusieurs groupes de métal (« t’as le look, mais t’as vraiment pas de talent man »), The Vampire était bien seul et sans diplôme. Il avait dévoré, sans conviction, ses parents, puis est parti tenter l'aventure dans la campagne. The Vampire s’est lancé dans l’enseignement, à la recherche d’un sang adolescent pur pour lui redonner sa vraie puissance de vampire d'autrefois. Le rôle de prof était trop limité, il n’aurait accès qu’à quelques classes de l’école, ce qui aurait réduit ses recherches. Il est donc devenu pion, pour avoir accès à tous les élèves de l’établissement. Sur plus de 1000 élèves, il trouverait sans doute le bon, l’élu. Manque de chance, suite à une cuite mémorable, The Vampire est mort, carbonisé dans sa maison. On a rien retrouvé, excepté un enfant de 5 ans, qui avait survécu aux flammes. L'enfant était très beau et ressemblait The Vampire, la police a déduit que c'était son fils, aucune opération de logistique ADN n'a été requise par le juge, et le môme a été transféré dans un orphelinat où il a subit de nombreux attouchements sexuels et plusieurs formes d'harcèlement moral.
Séquence 18
Coach découpait des carottes dans son petit tablier rose. Je faisais semblant d’écrire pendant qu’on me filmait. Le preneur de son écoutait un album de Dead Can Dance sur son Ipod. L’actrice qui jouait ma fille est rentrée accompagnée d’une jeune homme, vêtu de noir, mal coiffé, une longue chevelure noire et des mèches lui tombant devant les yeux. Il avait quelques traces d'acnée sur le front, et un duvet immonde en guise de moustache. « Papa, je te présente mon petit ami, Leandro, il a 16 ans, et il joue de black death métal... ». J’ai dégluti. Coach m’a jeté un regard complice, a retiré son tablier et a commencé à se craquer les doigts. J’ai bien respiré avant de lui dire : « Tu n’es pas un peu jeune pour avoir un petit ami ? 11 ans, c’est pas un âge ça pour… ». « On a fait l’amour hier, et il m’a demandé en mariage, il est génial... ». Coach a poussé un gémissement sourd.
Ma fille était en pleur repliée dans un coin de la pièce. Moi et coach on foutait des coups de pieds dans la gueule de Leandro, le sale pédéraste, son nez a fini par céder. Je lui arraché des cheveux avec les dents. Coach serrait les poings en bavant : « Allez, encule le, vas-y… ». « Non Coach, on a dit plus de sexe dans ma série… ». On a foutu le conard à poil, et j’ai commencé à lui donner des low kicks bien puissants dans les testicules, Coach retenait les bras de l’ado pour éviter qu’il se protège. « Sale ado de merde, tous les mêmes, je vais t’apprendre… ». Je lui perçais ses boutons d’acnée avec une fourchette tout en broyant ses couilles avec mon genou, de toutes mes forces. Il avait maintenant 2 boules géantes entre les jambes, toutes bleues. J’en ai transpercé une avec la fourchette en hurlant de joie, un mélange de sang, de graisse et de truc blanc répugnant s'en échappait comme le pus de ses boutons. Le gosse a commencé à avoir des spasmes, il gerbait un machin vert, il a gerbé sur les pompes Versace de Coach, ce dernier, énervé, lui a déboîté la mâchoire d’un coup de pied d’une rare violence. Le môme a rampé jusqu’à la porte qui donne sur le jardin, il s’est roulé dans la pelouse en hurlant comme un porc qu’on égorge, avec sa sale voix d’ado merdique ; on le regardait les bras croisés faire son cinéma. Il hurlait. Puis sa tête a explosé. J’ai poussé un cri d’effroi quand un de ses yeux s’est écrasé mollement sur le mur à quelques centimètres de moi. Coach restait calme, dressé fièrement sur le pas de la porte, une carotte en main.
Le bide de Leandro s’est entrouvert doucement, et de ses organes a jailli un être innommable, visqueux, horriblement mince et immense, une créature faite de muscle, sans peau, une dentition horrible, plus impressionnante que celle d’un tigre féroce, ses yeux étaient gigantesques et entièrement sombres. La créature nous a regardé fixement avant de jeter, d’un coup de pied, la carcasse démembrée de Leandro dans un coin de buisson. Elle nous a dit lentement, d’une voix reptilienne : « Il faisait étroit là-dedans… ». Le coach a enlevé son t-shirt, la caméra a aussitôt zoomé sur sa musculature parfaite enchaîné avec un gros plan sur sa bouche. En parfaite synchro, Coach a dit : « Enfin… de l’action… ». J’ai gerbé mon déjeuner à ses pieds. Le caméraman avait une érection, mais ce détail était insignifiant, on le coupera au montage final.
Séquence 19
La bestiole faisait un monologue. Coach se craquait la nuque avec un sourire carnassier. « Après l'orphelinat et plusieurs années dans votre école pourrie, j’avais trouvé l’élu, un jeune homme de 13 ans, très mignon. Je l’ai mordu, je l’ai bu, je l’ai vidé. Et rien. Il ne s’est rien passé. J’ai passé plusieurs années à faire des recherches et j’ai trouvé la solution. Ma transformation en vampire normal n’était possible que si je connaissais la mort, à nouveau. J’ai dû mettre en place un plan qui allait prendre une dizaine d’année. Je ne suis pas mort. Par un sort qui serait trop long à expliquer ici, j’ai réduit mon corps dans celui d’un enfant de 5 ans, et j’ai brûlé mon ancienne enveloppe charnelle, faisant croire ainsi à ma mort ; de longues griffes sont sorties de ses doigts fins et gluants. Le sort de transformation requiert un transfuge d’information à travers le temps, c’est là que j’ai eu l’idée de la ligne rouge dans ton journal classe. Il suffisait que tu en reparles une fois, pour que je sois sûr de remplir cette condition. Je m’y attendais, dans ma forme précédente, l’alcoolisme me permettait de prédire l’avenir, je savais que tu allais devenir écrivain et tu allais écrire à mon sujet, je savais aussi que tu aurais une fille fragile, autre condition primordiale, qui par son grand malaise intérieur n’hésiterait pas à coucher avec moi, voilà la seconde condition. Tu étais le seul qui remplissait les conditions de ce nouveau sortilège. Et aujourd’hui me voilà, après le transfert de la ligne rouge sur la ligne du temps, après le dépucelage de ta fille, il ne me reste plus qu’à boire son sang, boire le sang de celui qui a répandu l’information de la ligne rouge. »
Le coach serrait les dents et les poings en me regardant : « Bordel, quelle histoire tordue et mal écrite, tu aurais pu trouver plus simple !!! ». Je soulève les épaules en guise de pardon. Il prend un râteau, bien aiguisé, à deux mains et se dirige en hurlant vers la créature hideuse qui le repousse d’un geste de la main. Le coach va s’écraser piteusement dans un coin de pelouse, grimaçant, le râteau planté dans l’épaule. Il ne restait que moi pour contenir l’immonde chose. L’équipe technique filme alternativement la bête et mon visage effrayé, le preneur de son enregistre la respiration du monstre. Ma fille s’enfuit dans la cave en pleurant pour libérer sa mère. La créature hurle comme un t-rex de Jurassic Park mais à un volume 1000 fois plus élevé. Les vitres volent en éclat, les effets spéciaux s’activent et le ciel devient sombre, les nuages défilent à toute vitesse, la foudre s’abat tout autour de la maison. Je sens de la pisse chaude s’écouler le long de mes jambes. Puis je crie : Fin de l’épisode. Tout le monde s’arrête de jouer sauf le monstre qui continue de hurler. « C’est le costume qui lui sert trop je pense » a dit le caméraman avant de se faire décapiter d'un coup de griffe.