00h45 : Un bol de nouilles chinoises, une boîte de sardines, et un verre de pastis. Je me fais chier devant ce reportage sur la contrefaçon de sacs à main. Je zappe. Mon pc-télé lâche un jouissement pendant que je tentais malhabilement d'avaler une salve de nouilles par le dessous. Je coupe le son, devant sûrement ce réflexe à mes premières années de branlette devant M6. Un type coiffé chez Shampoo se frotte le bas du ventre sur le vagin de sa partenaire. La scène est tellement grotesque que j'ai du mal à croire avoir pu bander sur ce genre de truc étant plus jeune. Bref, je viens de comprendre la feinte de Cyrille au resto, pote de Mathilde, elle même pote de fac, lorsqu'il faisait référence aux films du vendredi soir sur W9. Je me doutais bien que ça cachait quelque chose de la sorte. Quoiqu'il en soit, mes soupçons sont maintenant dissipés. Je zappe. Je tombe sur un clip des Pussycat Dolls. Ca parle d'un mec qui aime se rincer l'oeil sur les seins, le cul, et la chatte de celle avec qui il chante, laquelle lui réplique qu'elle s'en fout et qu'il peut aller se toucher le zizi.
Chaque mot un peu cru est remplacé par un bip de censure rythmé de manière régulière à la fin de chaque couplet. La grosse tendance du moment en variet', c'est bien de parler de sexe sans vraiment en parler. Tout dans l'évocation, une espèce de recette magique qui semblerait destiner chaque morceau qui s'y adonne allègrement à un certain succès, mais c'est bien la première fois que quelqu'un ai eu l'idée d'en jouer musicalement. Putain, ici le sexe n'est pas gratuit, il devient prétexte à une mélodie se résumant par un simple bip. C'est génial, c'est beau. Alors que je m'émeuts de cette trouvaille, Kevin, dit Jean-Kevin, dit Jean-Kev', m'envoie un sms : « euh bon jsui raide jcroi ke jvai pas y aller lol ».
01h30 : Une pensée me traverse l'esprit pendant que je dévale les escaliers à toute allure : Je dois avoir l'air sacrément con avec cette boîte de sardine vide dans la main. Qu'importe, y'a personne pour me voir et puis de toute façon, le pastis m'a suffisamment éméché pour affronter l'éventualité de croiser quelqu'un sans rougir de mon butin. Paf, je l'envoie direct dans la poubelle, paf, paf, je fais voler les cadenas de mes deux antivols et enfourche mon vélo. Je déboule boulevard Clichy pleine vitesse sur la voie piétonne en mode « roi du monde », je slalome les gens avant qu'ils aient pu tenter quelconque esquive, et je garde un oeil sur les reflets qui m'apparaissent au grès de la route pour ne pas prendre de tesson de Kronenbourg dans le pneu. Je me demande bien pourquoi on ne trouve de verre que sur les pistes cyclables d'ailleurs. Je laisse ce mystère et mon vélo sur une barrière de trottoir : « C'est pas vrai, faut faire la queue pour entrer ! Quelle chiote... ».
Je me m'exécute en ruminant le fait que Jean-Kev' ait attendu 1h du mat pour se rendre compte qu'il était trop bourré pour venir. Une voiture klaxonne pour passer dans la rue, la file d'attente se démarque du passage piéton, et j'en profite pour me glisser en son milieu de la même façon que les deux gonzesses devant moi. Leur geste est pute mais pas le mien, j'ai personne avec qui discuter. Je suis un peu la grand mère à Carrefour que tout le monde laisse passer à la caisse parce que c'est bien connu que les mémés ont la vie trop remplie pour s'attarder dans les supermarchés. Moi, j'ai le cercle d'amis trop vide pour traîner dans une file d'attente.
01h50 : J'arrive au passage fatidique. Les deux gonzesses de tout à l'heure se font refouler car elles n'ont pas de monnaie pour payer l'entrée. L'une d'elles demande si elles seront obligées de refaire toute la queue. Apparemment oui. Je constate avec horreur que je n'ai qu'un billet de vingt euros, mais je remballe mon effroi, mon portefeuille, et avance devant le guichet en mode « l'air de rien ».
Ca doit sûrement être mon jour de chance, après m'être fait rembarré le billet de vingt euros, je me la joue neuneu qui galère à compter ses centimes et la technique se révèle payante : Pressées de se débarrasser d'un boulet qui fait attendre tout le monde, les meufs du guichet larguent leur dernier billet de cinq euros en me disant que c'est parce que j'ai fait un effort. Gagné ! J'entre dans la salle en exultant, fier de mon subterfuge.
02h00 : C'est Ellen Allien qui est aux platines. Renseignements pris, Interlope vient de terminer son set. Fait chier, j'étais venu pour eux. Je me fraye un passage dans la masse de putes à franges et de mecs suintant le gel des cheveux pour me trouver une place convenable. Les deux mois passés en ermite à bosser mon mémoire le week end ont creusé un vide dans mes jambes, qui ne tarde pas à se combler en attaquant le dancefloor. Purée, j'aurai jamais cru que cela m'aurait fait tant de bien de me dépêtrer comme une vulgaire volaille.
03h00 : A ma surprise, Ellen Allien largue quelques morceaux teintés d'une pointe d'electronica, cool. Soudain, la musique se coupe et m'éjecte de la transe dans laquelle je m'étais plongé depuis au moins une heure. Tout le monde gueule, je pense tout de suite à un problème technique mais le son reprend. Bon, ça arrive à tout le monde de commettre une erreur, on ne lui en tiendra pas compte. Rebelotte, coupure. Je viens de comprendre que ce n'était pas un problème technique mais bien madame Allien qui s'amusait avec sa platine. Peut être ne s'est elle pas rendu compte que la musique qu'elle passait à ce moment là était bien trop touffue pour que son effet soit réussi. 3eme coupure. Décidément, c'en est trop pour le public. Des sifflements partent de parts et d'autres, pendant que certains balancent les bras en forme de non pour lui demander d'arrêter le carnage. Ellen Allien s'en excusera par un haussement d'épaules l'air de dire « ben quoi, j'ai bien le droit de m'amuser ». Au fur et à mesure, son set s'essouffle et devient super chiant, certaines transitions de morceau sont tellement ratées qu'on croirait entendre une débutante : Sans doute ce qui m'avait poussé l'année dernière à me barrer à la moitié de son set au NAME. Quant à celui du festival de Dour, on ne peut pas dire qu'il m'ait particulièrement marqué, mais c'était toujours moins pire que Miss Kittin. Je commence à croire que les djs femelles profitent de leur charisme pour asseoir un succès amplement pas mérité. Je chasse cette pensée de mon esprit sans trop de conviction. Le dj qui lui emboîte le pas arrive alors en véritable messie, sortant le public d'un emmerdement suprême en l'assenant de beats ravageurs. C'est décidé, j'irai vendredi au NAME plutôt que le samedi.
05h00 : Un type me tire une dread dans le dos. Pfff, je commence à en avoir marre de jouer à ça. C'est toujours la même chose. Je décide de l'ignorer et il recommencera jusqu'à ce que je devine qui est le comique du lot. Je me retourne trop vite et je ne le trouverai pas car c'est précisément le moment où il aura pris soin d'être le moins flagrant possible. Je décide donc d'attendre suffisamment longtemps pour qu'il commence à envisager de me retirer la dread et je me retourne. Un mec juste derrière moi feint de tourner la tête tout en dansant. Je le regarde un instant, mais il ne réagit pas. Je décide donc de lui sourire pour que mon geste ne soit pas vain. Il me regarde et m'envoie un « P'tain ! Comment t'as fait pour me griller ? » en rigolant. Je ne répond pas et retourne dans ma transe, en voilà un qui ne m'emmerdera plus. Une gonzesse à côté de moi danse de manière un peu extravagante pour attirer l'attention. En gros, elle balance un stimulus « je ne me prends pas au serieux, y'a t'il quelqu'un pour jouer avec moi ». Je n'y prête pas attention et continue ma transe. J'suis vraiment quelqu'un d'asociable sur le dancefloor mais bon, deux mois de manque, ça a besoin d'être satisfait sans qu'on m'interrompt toutes les deux secondes. Dix minutes plus tard, je la vois en train de simuler un pogo avec un mec : stimulus réussi.
06h00 : Je rentre chez moi, je rêve que j'annonce mon départ de stage prématuré à la directrice artistique de Naïve, et que celle-ci, pas bien emballée par ma décision, me rétorque d'écrire 4 copies sur ce qui m'a plu dans le stage. Pour mettre un peu de piment au truc, je me met en tête de raconter l'histoire d'un jeune réfugié libanais qui grandit, et devient directeur artistique d'Universal. Je sors du taff, et me rend dans un bistrot allemand pour ne pas me faire déranger pendant l'écriture. La serveuse vient me voir et, machinalement, je commande une bière afin de payer mon dû pour le squatte d'une de ses tables. En fait, elle n'était pas venue pour ça mais pour me faire tester sa spécialité d'alcool au viandox. Je goûte, c'est ignoble, j'essaie de lui faire croire que je trouve ça bon mais elle sourit car je mens trop mal. Putain, une heure et demi que je bosse et l'A&R m'appelle déjà. Je rentre avec mes deux feuilles : L' histoire s'interrompt au moment où le réfugié libanais doit faire face à la cruauté de la vie lorsque son père lui explique qu'il est obligé de tuer un agneau pour qu'ils puissent manger. Heureusement, mon pote Gaëtan a préparé les 4 copies pour moi. C'est cool de sa part, mais je me rend compte que j'aime pas ce qu'il a écrit. Je me réveille.
Tehanor